SEXY… OU SEXISTE ? QUE CACHENT LES COSTUMES D’HALLOWEEN
L’heure est à la sculpture de citrouille et à la sélection de notre déguisement. D’ailleurs, à en croire Internet et les boutiques spécialisées, notre choix en tant que femme se réduit principalement à des tenues courtes et moulantes. Problématique ?
Halloween continue de gagner du terrain de ce côté de l’Atlantique. La fête quasi sacrée aux États-Unis prend une place de plus en plus importante dans le coeur des Français·e·s. En même temps, on comprend : l’évènement consiste globalement à célébrer l’aura et la puissance des sorcières, à engloutir une tonne de bonbons (qu’on descend, adulte, à coups de cocktails), à voir ses potes et à se déguiser. Un moment qui nous file du baume au coeur en plein mois d’octobre.
En parlant de déguisement d’ailleurs, si le Covid restreint nos plans de se retrouver cette année, il ne nous empêche pas de fantasmer notre accoutrement. On a, par le passé, enfilé les costumes les plus classiques et fait une petite entorse à l’ambiance morbide en misant sur la fraise géante. Cette fois-ci, on voulait à nouveau tout donner. Alors pour se consoler et pour oublier quelque temps que la soirée n’aura sûrement pas lieu, on a écumé les sites dédiés.
Tapez « costume Halloween pour femmes » dans Google et vous tomberez sur une liste interminable de métiers, de personnages de fiction, de références culturelles ou actuelles transformés en tenues (en 2018, on a eu droit à l’adaptation révoltante de The Handmaid’s Tale, en 2020, celle du gel hydroalcoolique). Le dénominateur commun, c’est le peu de tissu et la façon dont les fibres sont ultra-tendues sur les poitrines des mannequins qui les portent. Même pour le gel hydroalcoolique.
Halloween sera sexy ou ne sera pas, semblent scander ces centaines d’images évocatrices. Sexy… ou sexiste ?
Où sont les hommes (en mini-short) ?
Pour répondre à cette question, il y a plusieurs critères à analyser. Notamment la comparaison avec les modèles estampillés pour hommes. De ce point de vue là, difficile de ne pas réaliser le fossé béant entre les deux genres, et ce, dès le plus jeune âge. « Près d’un tiers des costumes de filles et plus de 90 % des costumes de femmes présentent une certaine sexualisation », chiffre Lauri Hyers, professeure-chercheuse à l’université américaine de West Chester, dans une interview avec Inquirer. « Par ailleurs, cela touche moins de 1 % des costumes de garçons et seulement 11 % des costumes d’hommes. »
Pour la spécialiste qui a observé 1600 déguisements dans les dix dernières années, aucun doute : Halloween est sexiste. « La sexualisation et l’infantilisation des costumes féminins ne font que croître », déplore-t-elle. Exemple concret : les policières écopent de qualificatifs « niais » type « candy cop » (« fliquette bonbon », en gros) et de détails enfantins comme des taches de rousseurs et des poses que l’experte qualifie « d’innocentes ». Quand les policiers, eux, bénéficient d’accessoires réalistes, et les notions de sérieux et de pouvoir que la profession implique sont plus évidentes. Un procédé aux antipodes de l’empowerment, juge-t-elle, puisqu’il « semble limiter la valeur des femmes à leurs attributs physiques ».
C’est cette inégalité qu’a aussi voulu dénoncer le Tumblr FuckNoSexistCostumes, qui oeuvre à juxtaposer les options féminines et masculines dans les magasins américains principalement. Docteur de labo en blouse blanche sobre vs infirmière avec jarretière rouge en plumes et toque agrémentée d’un petit coeur assorti au stéthoscope. Robin des bois avec carquois dans le dos et pantalon aux chevilles vs Robine des bois avec carquois dans le dos mais sans pantalon. Ou pire, tortue ninja fidèle au dessin-animé chez les garçons vs tortue ninja où la carapace a été troquée pour une robe rose et un serre-tête à antennes (allez savoir) chez les filles. Genré dès le plus jeune âge. Et les conséquences sont multiples.
« Le marketing ciblé sur le genre ne fait que renforcer la fracture entre les sexes et les stéréotypes sexistes et limite le potentiel d’imagination des enfants et des adultes », condamne Lauri Hyers. « C’est étouffer la créativité ». Et la projection que permet la représentation, aussi.
Seulement, plutôt que de culpabiliser celles qui aiment miser sur un minimum de tissu, elle blâme, comme la créatrice du blog, la société qui insinue que c’est ce qu’on attend d’elles – et d’elles seules. « Les fabricants créent une demande pour des costumes sexualisés en les offrant », soutient-elle. « Ils renforcent une norme que les femmes estiment devoir respecter ».
Un constat accablant, qui n’excuse cependant pas de sombrer dans l’excès inverse : partir du principe qu’une femme qui veut montrer son corps est forcément manipulée, ou lui prêter des qualités à connotation péjorative.
« Essayer de limiter le choix des femmes est le problème principal«
Pour USA Today, Halloween est moins réducteur qu’émancipateur. « Le corps des femmes est surveillé tous les jours de l’année. [Le 31 octobre] est un répit bienvenu et une chance pour les femmes d’exprimer leur sexualité, plutôt que de la réprimer », écrit la publication dans un article intitulé When it comes to sexy Halloween, women just can’t win (« Quand il s’agit d’Halloween, les femmes ne peuvent pas gagner », en français).
Dans une tribune publiée sur Daily Orange, Mallory Stokker, étudiante en journalisme à l’université de Syracuse, base justement sa réflexion sur cette interprétation.
Si elle admet que les costumes féminins sont bel et bien sexualisés, et reconnaît volontiers la pression que certaines peuvent ressentir à se conformer à cette norme qu’évoque aussi Lauri Hyers, la jeune femme défend toutefois le droit de ses paires à ne pas être catégorisées ni jugées uniquement sur leur envie de se vêtir le moins possible. Et demande à ce qu’on arrête enfin d’opposer les adeptes des tenues légères à celles qui préfèrent se couvrir.
« Que ces femmes aient décidé de s’habiller comme elles l’ont fait en raison de pressions sociales ou de leur propre désir d’être vues de manière sexuelle, leur choix n’est pas en cause. La question est de savoir comment la société interprète ce choix. » Mal et de manière inégale, fustige l’autrice.
Elle tacle les double standards, qui placent les concernées dans une impasse rageante : « Ce qui est vraiment déconcertant, c’est que malgré les encouragements à s’habiller et à être sexy à Halloween, une fois qu’elles l’ont fait, elles sont souvent dégradées pour avoir incarné cette image même. À l’heure actuelle, les femmes sont confrontées à deux conséquences négatives en ce qui concerne leur façon de s’habiller à Halloween : répondre aux attentes et être considérée comme une salope, ou défier les attentes et être ostracisée. » Clairement, la journaliste marque un (gros) point.
Elle poursuit en recentrant le débat : « Les femmes devraient avoir une totale autonomie quant à leur choix de révéler leur peau ou de ne pas se présenter de cette manière. Nous devons arrêter de faire des suppositions sur leur personnalité en fonction de la façon dont elles s’habillent un jour de fête. Et le fait que nous continuions à faire ces suppositions révèle à quel point ce type de jugement est profondément ancré dans notre pensée quotidienne. »
La solution, la professeure Lauri Hyers assure qu’elle réside dans la dégenrisation des déguisements plutôt que dans le retrait du marché de ces modèles. Femme, homme, fille, garçon ou non-binaire : la possibilité de sauter dans une micro-robe devrait appartenir à tous·te·s, sans étiquettes ni conséquences. « Halloween est censé être un moment où vous pouvez être ce que vous voulez être », conclut-elle. Preach.
Article de Pauline Machado