Santé mentale, un voyage vers la paix intérieure
ON NE FAIT PLUS L’IMPASSE : LA SANTÉ MENTALE EST DÉSORMAIS UN SUJET SÉRIEUX, PORTÉ PAR LA VOIX DE ROLE MODELS, MAIS AUSSI À TRAVERS DES ACTIONS POLITIQUES. AU-DELÀ DE L’ENJEU COLLECTIF RÉEL, CHERCHER SA PAIX INTÉRIEURE RÉVÈLE UNE ENVIE DE S’EXTRAIRE DES CARCANS DE NOTRE EXISTENCE ET DE TROUVER SA PROPRE VOIE.
Besoin de prendre du recul, burn-out médiatique, objectif de performance… De nombreuses personnalités, issues du monde sportif et artistique, du show-business également, se sont exprimées ces dernières années sur leur santé mentale. Pour la protéger, certain·es n’ont pas hésité à prendre des décisions radicales, comme mettre leur carrière entre parenthèses, se retirer des réseaux sociaux ou encore réduire leur entourage.
Des prises de parole salvatrices
Alors qu’elle était favorite pour le titre au classement général lors des derniers Jeux olympiques à Tokyo, la gymnaste américaine Simone Biles, âgée de 24 ans, la plus récompensée de l’histoire dans sa discipline, a déclaré forfait pour une grande partie des épreuves. Les raisons ? La pression psychologique de tout un système devenu trop lourd à porter. Cette décision a provoqué un véritable coup de tonnerre dans la communauté sportive, et bien au-delà. Comme elle, iels sont nombreux·ses (la joueuse de tennis japonaise Naomi Osaka, Billie Eilish, Pomme, mais aussi Neymar ou Stromae) à avoir osé mettre des mots sur un sujet, jusqu’alors resté tabou : la santé mentale. « Pendant longtemps, on a protégé notre santé physique aux dépens de notre santé mentale. Depuis l’épidémie de Covid-19, il y a eu une prise de conscience collective sur l’importance de notre santé mentale. On s’est rendu compte qu’elle était aussi importante que notre santé physique, observe Aude Caria, psychologue et directrice de Psycom, un organisme public d’information sur la santé mentale. Ça s’est observé chez les étudiant·es, les enfants, mais également dans le cadre professionnel. » Entre juillet et octobre 2021, le nombre de cas de burn-out a augmenté de 25%, selon Empreinte Humaine, un cabinet spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux. Un baromètre publié par ce même cabinet estime à 2,5 millions le nombre de salarié·es français·es en souffrance. En cause ? Une société hyper pressurisante, régie par la course à la réussite, l’hyper compétitivité et surtout, beaucoup d’incertitudes. « Ce contexte entraîne une détresse psychologique et aboutit à l’épuisement général d’un mode de fonctionnement qui manque de sens et de repères. Le monde n’ira pas mieux tant qu’il n’aura pas repris son autonomie », explique Camille Sfez, psychologue clinicienne, autrice du livre Vulnérable (éditions Leduc).
La santé mentale et les institutions
Portée par la voix de certaines personnalités, mais aussi par celle de la génération TikTok, rongée par le fléau du cyberharcèlement, la santé mentale fait partie des enjeux majeurs du 21e siècle. L’objectif ? Briser les non-dits autour d’un phénomène trop longtemps occulté et y apporter des solutions. C’était notamment l’objet de la campagne publique de sensibilisation à la santé mentale, initiée en avril 2021 par l’Agence nationale de santé publique France et le ministère des Solidarités et de la Santé. « À partir du moment où on en parle, on peut faire bouger les lignes. Il y a dix ans, c’était encore tabou de dire qu’on avait fait une dépression. Aujourd’hui, ça se banalise, petit à petit. Nous sommes à présent dans la phase de recherche de solutions. Mais comment analyser son mal-être ? À quel moment chercher de l’aide ? On ne nous a jamais appris, finalement », confie Aude Caria.
Face à la détresse psychologique massive post-confinement, le gouvernement a fait de la santé mentale un de ses sujets clés. Lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, qui se sont tenues les 27 et 28 septembre derniers au ministère des Solidarités et de la Santé, le président de la République Emmanuel Macron a notamment annoncé plusieurs mesures importantes, comme la nécessité d’informer et de sensibiliser les jeunes, le renforcement des maisons des adolescent·es ou encore le remboursement des consultations de psychologues sur prescription médicale, mis en vigueur en janvier 2022. « Cette prise de conscience a bousculé notre manière de concevoirles problèmes de mal-être. Ce ne sont pas uniquement les gens qui ne vont pas bien qui vont voir un psy. La santé mentale, ça fait partie de nous», ajoute Aude Caria. La santé mentale sera visiblement l’une des causes majeures de la décennie à venir.
Vers l’émancipation intérieure
Longtemps tue, la question de la santé mentale n’est aujourd’hui plus un tabou. « La parole se libère collectivement, on nomme de plus en plus les fragilités, les sujets sensibles, les choses qu’on a longtemps occultées », explique encore Camille Sfez. Cette libération de la parole, notamment initiée dans le sillage du mouvement Me Too aux États-Unis, en 2017, a permis de mettre des mots sur les choses qui ne vont pas. « Les agressions sexuelles, les règles, les sujets liés à la maternité… Aujourd’hui, on s’autorise à dire qu’on ne va pas bien. Il y a beaucoup plus de fluidité », ajoute l’experte.
Cette souffrance interne générale exprime aussi une certaine lassitude vis-à-vis des modèles prérequis, et un besoin de sortir des carcans. Préserver sa santé mentale, c’est témoigner une envie de s’émanciper des codes qui érigent notre existence. « Dans notre vie d’adulte, aujourd’hui, il y a plein de moments où ce n’est pas l’adulte conscient qui agit, mais l’héritage des blessures de l’enfance qui tire encore les ficelles. De ce fait, on ne se comporte pas toujours de la meilleure façon pour nous. Souvent, nos réactions sont limitées par un système de croyances qu’on a mis en place depuis très longtemps. Des croyances de dévalorisation, de savoir comment être aimé·e, et d’autosabotage… Finalement, nous ne sommes pas totalement libres d’agir comme on le voudrait. Le fait de prendre soin de sa santé mentale, c’est avant tout essayer de comprendre le système de croyances dans lequel on a grandi, les stratégies de survie qu’on a mises en place pour y faire face et essayer de s’en détacher », analyse Camille Sfez.
En cheminant vers l’émancipation et vers la capacité à faire ses propres choix, le fait de prendre soin de sa santé mentale serait, d’une certaine façon, le moyen de mieux se connaître. Pour retrouver son autonomie intérieure et ainsi, choisir sa propre voie. « Il y a un besoin de retrouver du sens, de s’interroger sur ses choix. Ça devient une priorité. Si beaucoup de personnes prêtent aujourd’hui attention à leur santé mentale, c’est parce que c’est aussi un moyen de découvrir son équilibre, entre sa vie et ses valeurs», estime Camille Sfez. La paix intérieure serait ainsi garante de notre indépendance psychique et morale, et donc le moyen d’atteindre une certaine maturité.
« Le fait de prendre soin de sa santé mentale, c’est avant tout essayer de comprendre le système de croyances dans lequel on a grandi, les stratégies de survie qu’on a mises en place pour y faire face et essayer de s’en détacher. »
(S’im)poser des limites
Cette indépendance psychique passe aussi par la capacité à savoir dire non, à poser – et à s’imposer – des limites. Au travail, avec ses ami·es, sa famille, sa ou son partenaire, il est important de définir un cadre, et de le respecter! « Dans la vie de tous les jours, nous sommes constamment sollicité·es. Entre le smartphone, les obligations professionnelles et familiales, tout nous épuise. Parfois, il faut aussi réussir à couper, à formuler ses limites, pour retrouver des espaces de calme et de sérénité », assure Camille Sfez. Mais dans un monde qui vit à cent à l’heure, c’est souvent difficile de dire non. Pourtant, c’est parfois le seul remède pour réussir à s’écouter. Après avoir vécu avec son copain pendant plus de cinq ans, Sabrine obtient un CDI dans le Jura et part s’y installer: « J’avais 25 ans et c’était la première fois que je vivais seule. C’était le confinement, et ça a été l’occasion de me retrouver avec moi-même, de prendre du recul et de réfléchir à toutes les choses sur lesquelles je n’avais jamais eu le temps de m’interroger », raconte la jeune femme. De son côté, son compagnon qui finit alors une formation de webdesigner lui propose de la rejoindre. « Lorsqu’il me l’a demandé, je me suis rendu compte que je ne voulais pas vivre avec une personne qui n’était pas dans la même énergie que moi. Je lui ai dit non, pour qu’il prenne le temps de savoir ce qui le rendait vraiment heureux et non pas qu’il vienne uniquement pour me suivre. Au début, il l’a pris comme un rejet, mais avec le temps, il a compris la nécessité de prendre du temps pour lui, afin de savoir où on voulait aller professionnellement et amoureusement », poursuit-elle. Et visiblement, cette décision semble avoir été bénéfique pour leur couple. Un an et demi après et malgré les injonctions de la société, iels sont heureux et semblent avoir trouvé un équilibre : le leur. « On peut aussi choisir, à un moment de nos vies, un autre modèle que le schéma traditionnel imposé, et se détacher du regard des autres », précise Sabrine. Aujourd’hui, elle se sent en paix avec sa décision: « Dans la vie, rien n’est définitif et il faut savoir s’écouter, ne pas se forcer. On verra où nous mènent nos réflexions, mais pour le moment, on veut juste prendre le temps d’être bien. » S’écouter, c’est accepter qu’il puisse y avoir des moments de doutes. Et c’est ce qui fait de nous des adultes affranchi·es. « C’est aussi par période, nuance Camille Sfez. Il y a des moments où on veut être sollicité·es et d’autres où on préfère avoir des espaces de contemplation et de méditation. »
En cheminant vers l’émancipation et vers la capacité à faire ses propres choix, le fait de prendre soin de sa santé mentale serait, d’une certaine façon, LE MOYEN DE MIEUX SE CONNAÎTRE.
Pour prendre soin de sa santé mentale, toutes les pistes de réflexion sont bonnes à étudier. Néanmoins, il n’y a pas de remède universel. Parler, extérioriser, est déjà un pas vers le mieux. « La méthode peut s’exprimer sous plusieurs formes : faire du sport, arrêter les réseaux sociaux, pratiquer le yoga, faire appel à un·e professionnel·le… Pour chaque personne, c’est différent », affirme Aude Caria. Le principal ? Être attentif·ve à ses besoins, à ses envies.
Une chose est sûre, il n’y aura probablement pas de retour en arrière après cette prise de conscience collective. Sur le plan personnel, la santé mentale est constitutive de nos choix de vie. Longtemps perçu comme une lubie, le bien-être psychologique se révèle être un élément fondateur de notre parcours personnel : « Si l’enjeu collectif est réel, les histoires divergent et convergent vers un seul objectif, autrefois oublié mais aujourd’hui indispensable à notre bien- être : trouver sa paix intérieure », conclut Aude Caria.
Article de Lisa Hanoun