LETTRE À MA FILLE : EN CE 8 MARS, VOICI TOUT CE QUE JE TE SOUHAITE…

Pour la Journée internationale des droits des femmes, j’ai voulu écrire à ma fille. Un texte sérieux et plus léger pour son avenir proche et lointain. En espérant qu’un jour, on n’ait plus à se battre autant.

Mon bébé, mon moineau,

Ce 8 mars tu as quatre mois. Tout pile. Quatre mois que je te chante des chansons idiotes en te berçant, et certainement en te refilant mon sens du rythme approximatif. Quatre mois que tu acceptes sans moufter nos surnoms un peu ridicules, et nos réponses incohérentes à tes gazouillis toujours plus expressifs. Quatre mois que tu entames une vie qui m’a l’air bien partie, si tant est que la seule chose dont tu aies besoin pour t’épanouir soit l’amour de tes parents et de tes proches. Parce que là, tu es servie. 

Seulement, heureusement ou non, il ne s’agit pas du seul facteur de ton bonheur. Je te l’apprends aujourd’hui : ton père, ton entourage et moi-même n’avons d’utilité que le socle solide que notre tendresse bâtit jour après jour, afin de mieux t’armer pour ton avenir. Pour l’école, les études, le monde professionnel, l’amour (propre ou non). Et parfois, sache-le, la route sera un peu plus sinueuse que pour tes petits copains de crèche. Car voilà ma chérie, tu as la chance merveilleuse d’être une fille. Crois-moi, ça vient avec son lot de critères incroyables. De force, de puissance, de résilience, de détermination. Pour être honnête, je n’échangerais ça pour rien au monde. Il y a une infinité de façons de vivre sa féminité, et cette pluralité enrichit considérablement notre société.

Mais tu me vois peut-être venir : être une femme signifie aussi ne pas être un homme. Et plus tu grandiras, plus le monde a des chances de te le rappeler. Tu remarqueras sans doute plus ou moins rapidement que ce sont eux, la norme, les hommes blancs (tu partages cette couleur de peau, ce qui te donne un avantage injuste et révoltant), et que pour l’instant la vie est souvent faite selon un schéma inégal. C’est pour ça qu’il est important qu’on veille au grain autrement qu’en faisant des bisous dans tes adorables mentons moelleux qui cachent ton cou (j’en serre les dents). Qu’on lutte de notre côté pour que tu puisses avoir les opportunités que tu mérites si tu veux les saisir, et la sécurité nécessaire pour grandir. L’égalité avec tes amis et des droits qui prennent en compte ta différence.

Le 8 mars mon petit lardon joli sans cheveux, c’est la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Pas la « Journée de la femme », comme tenteront peut-être de te le faire croire quelques chaînes de fleuristes, qui voudraient te refiler deux bouquets de pivoines moches pour le prix d’un – pensant que c’est la seule chose qui t’intéresse ce jour-là. Et cette année, je pense à cette journée un peu différemment. Cette année, si je suis toujours indignée par la condition de mes semblables, et d’autant plus celle des femmes qui ne me ressemblent pas, je pense aussi à tout ce que je te souhaite pour que ta vie soit douce, et juste. Et la liste est longue. J’oublie sûrement des points essentiels, mais sache que je fais mon maximum.

Alors voilà : je te souhaite de pouvoir devenir qui tu veux, sans avoir à te soucier de ce que les autres penseront. De jouir des mêmes droits que ton père et tes oncles, sans ne plus avoir à protester dans la rue, un dimanche pluvieux d’hiver, pour les réclamer. De pouvoir marcher dehors tard le soir sans être inquiétée, de porter ce que tu veux sans être inquiétée. De ne pas avoir à ignorer les commentaires et les sifflements obscènes sur ton chemin. De ne pas avoir à être belle (quelle que soit la définition des standards au moment où tu lis ces mots) ou mince pour être vue ou représentée, mais de te trouver belle car tu l’es. Je te souhaite d’être révoltée, de savoir dire quand ça ne va pas, de savoir dire non. De vivre dans un monde où l’impunité des criminels sexuels est un lointain souvenir, où l’on ne les récompense pas un soir de gala. D’être entourée de personnes qui te font du bien, qui font ressortir le meilleur de toi-même. D’avoir des ami.e.s qui te soutiennent, qui t’écoutent, qui comprennent à quel point tu es unique. Que les hommes qui t’entourent considèrent ta voix aussi importante que la leur. De prendre ta place sans la demander poliment. D’être consciente de tes privilèges, et de ne jamais cesser de les remettre en question.

Je te souhaite d’être humble, de t’intéresser aux autres. De les aimer comme on t’aime. D’aimer qui tu veux. D’avoir le choix et la possibilité d’avoir à ton tour des enfants ou non, de pouvoir le prononcer, ce choix, sans pression. De pouvoir le vivre pleinement. De connaître ce sentiment indescriptible qu’est l’amour inconditionnel qu’on te porte, peu importe envers qui il est destiné. De ne plus remarquer les injonctions, les réflexions qui empoisonnent la vie de tant de femmes aujourd’hui, car cela voudrait dire qu’elles n’existent plus. Et que tu pourras poursuivre tes rêves, ou simplement vivre ton quotidien, sans que les discriminations caractéristiques du genre te rappellent toutes les deux secondes que tu es une femme, justement – et entachent la signification du mot. 

La liste est longue, je le répète, elle est surtout lourde de combats qu’il reste à mener. Mais je te souhaite aussi toute la légèreté du monde. Que tu te construises un imaginaire infini, plein de jeux, d’aventures, d’explorations. Que tu te passionnes pour chaque feuille qui tombe au sol, chaque coccinelle qui s’envole de tes doigts. Que tu n’hésites pas à nous les montrer fièrement – même si tu sens que, clairement, notre intérêt pour tes trouvailles décroît. Je dois t’avouer mon amour, que s’extasier devant un escargot écrasé sur un bout de trottoir, c’est dur. Pareil pour tes dessins : je te souhaite qu’on ait toujours le réflexe biaisé de te dire qu’ils sont magnifiques. Alors qu’en réalité, ils ressembleront sûrement à de gros pâtés marron informes car trop colorés, qui finiront certainement mangés par Madame poubelle quand tu auras le dos tourné.

Je te souhaite de rire à nos blagues nulles et d’avoir honte qu’on vienne te chercher devant l’école à 8 ans. Je nous souhaite d’avoir le cœur un peu brisé quand tu prendras tes distances ; on aura fait ce qu’il fallait pour que tu te sentes assez forte pour quitter le nid. Je te souhaite d’être rigolote, maladroite, dans la lune, maligne, futée, gourmande, curieuse, sociable. Un peu solitaire si tu le désires, c’est aussi quand on se réfugie dans son univers qu’on se construit. De trouver des modèles qui te portent, de lire, de voir, d’entendre des oeuvres qui te transportent. De ne pas réussir à prononcer “catalogue” (tu ne risques pas grand chose avec “magnétoscope”, plus personne ne sait ce que c’est). De foutre des légos partout, de rire quand on marche dessus. D’appeler ta poupée Albert si tu en as envie. De te déguiser en princesse-cosmonaute, en dinosaure-Cendrillon, en médecin-exploratrice, en Reine des Neiges. Je te souhaite de nous épuiser. De ne pas douter une seconde que tu peux nous parler de tout.

Je te souhaite d’être meilleure que nous. 

Surtout, je te souhaite d’être heureuse. Et de passer le relais.

Maman qui t’aime déjà tellement.

Article de Pauline Machado

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