FAUT-IL VRAIMENT « SE FAIRE DÉSIRER » EN AMOUR ?

Balancé à tout-va comme la clé pour concrétiser une relation, le principe de "se faire désirer" commence (un peu) à me sortir par les yeux. Je vous explique pourquoi, et comment envisager la séduction autrement que par une tactique qui ne nous sert pas franchement.

L'amour dure trois ans
"L'Amour dure trois ans", oeuvre emblématique du concept © EuropaCorp

En 2011, dans L’Amour dure trois ans, le personnage de Gaspard Proust a une théorie face au silence radio de Louise Bourgoin : « Un jour sans réponse, on croit à une stratégie. Deux jours sans réponse, on se vexe. Trois jours sans réponse, on tombe amoureux ». En 2005, dans Hitch, expert en séduction, Will Smith s’entiche d’Eva Mendes parce qu’elle ne lui rend pas ses avances. En 2009, dans L’Abominable vérité, (on a les références qu’on mérite) Gerard Butler n’a d’yeux que pour Katherine Heigl parce qu’elle le fait poireauter pendant des semaines. Et moi, en 2022, je sors péniblement d’une dizaine d’années à être persuadée que, pour attirer l’attention de quelqu’un qui compte, il faut jouer celle qui s’en tape. 

Les comédies romantiques ne sont pas les seules à dispenser ce conseil. « Souffler le chaud et le froid » ; « faire semblant de l’ignorer quand on sait très bien que la personne qui hante nos nuits est à deux mètres » ; « ne pas avoir l’air acquis·e », sont autant d’encouragements que j’ai aussi entendus de la bouche de mes proches. A les écouter, plus on prétend n’avoir que très peu d’intérêt pour quelqu’un·e – quand en fait, on crève d’amour – plus nos chances d’être irrésistible à ses yeux sont élevées. Le côté inaccessible, incertain, renforcerait les sentiments ou en tout cas, le désir. À l’inverse, les exprimer clairement reviendrait à briser le charme. 

On appelle ça « se faire désirer », et en observant de plus près ce que ces trois mots ont flingué de ma capacité à agir naturellement autour d’un mec qui me plaît, je me dis que la technique n’est pas vraiment au point.

Chassez le naturel, il revient avec un malaise considérable

"L'Abominable vérité"
Rien ne va dans "L'Abominable vérité" et pourtant, 7 visionnages au compteur © Columbia TriStar Motion Picture Group

Je n’ai aucun don pour dissimuler mes intentions, ni mes émotions. Exemple criant : je rougis au moindre compliment ou au moindre échange qui me gêne. Quand on me dit que je rougis, je rougis encore plus. C’est un cercle infernal et sans fin sur lequel je n’ai absolument aucun pouvoir, qui réduit mes chances de paraître insensible à néant. Mais j’ai quand même essayé, l’ère du digital rendant mon champ d’action moins limité, puisque cachée derrière l’écran. « Me faire désirer » revenait, jusqu’il y a peu, à mettre des heures à répondre via message ou à vainement tenter d’être mystérieuse. Il faut savoir que je suis tout l’inverse de mystérieuse, et pour preuve : je raconte ma vie à qui veut l’entendre sur Internet. 

Bref. J’arrivais tant bien que mal à garder la face en ligne, oscillant entre humour et indifférence, piques bien senties et stress sévère à l’idée que l’autre n’ait rien compris de ma tentative d’esprit. Je « me faisais désirer » en façonnant ma personnalité et mes réactions pour coller à une version que je considérais plus « cool » que celle que je suis réellement. Alors qu’au fond, je n’avais aucune envie d’attendre des plombes pour poursuivre la conversation, ou partager des anecdotes spontanées sans sur-analyser l’interprétation qu’on en ferait. 

Un réflexe humain, sans aucun doute. Le problème, c’est que quand l’ébauche de la relation passait du virtuel au face à face, je perdais mes moyens. Et c’était loin de servir mon cas. A base de regards fuyants et de réflexions lourdes induites par l’angoisse d’être trop discrète. Pas dingue, qu’on se le dise. Au lieu d’installer une tension excitante et de semer le trouble dans la tête de ma cible comme l’astuce le promettait, j’étais tellement obnubilée par l’image que je renvoyais que j’en oubliais d’être moi-même, devenant un peu gauche et loin de faire mouche. 

Vous me direz, peut-être qu’en plus de ma vie sentimentale, je sur-analyse aussi l’expression. Peut-être que « se faire désirer » est seulement une façon d’insinuer que la personne qui nous intéresse doit aussi faire sa part pour nous convaincre qu’elle vaut le coup. Un moyen d’inciter à prendre son temps pour savoir ce qu’on veut réellement, au lieu de foncer tête baissée à la première attention (l’un de mes nombreux talents, avec le binge-watching de séries policières françaises de piètre qualité et la cuisson des œufs mollets). Et si c’est votre définition à vous, alors faites donc. Faites-vous désirer, tant que c’est selon vos règles et vos envies, et que ça ne vous force pas à accepter n’importe quoi pour avoir l’air désirable, justement.

Seulement, j’ai du mal à ne pas penser que cette énième injonction nous pousse en fait à taire nos émotions, et à culpabiliser d’en éprouver certaines qui ne seraient pas tout à fait réciproques.

Qui ressent, perd ?

Début mai, j’ai assisté à l’événement Corps à Coeurs organisé par la chanteuse Laurie Darmon. Le premier talk portait sur l’hypersensibilité et l’expression de nos sentiments. L’une des deux invitées, Amal Tahir, a prononcé une phrase qui m’est restée en tête. Elle décrivait la honte qui entoure souvent le fait d’admettre ce qu’on ressent pour l’autre. Elle a dit un truc du genre : « on a l’impression que la première personne à dire je t’aime, perd ». Comme si éprouver quelque chose qui n’était pas partagé était forcément synonyme de gravité. Ou que l’amour était un concours dont le vainqueur avouerait sa faiblesse en dernier. A l’intéressé·e, comme à ses proches.

Alors qu’en réalité, on n’y peut pas grand-chose, si on est accro au pote de notre meilleure amie qu’on a vu qu’une fois. A quoi bon nier qu’on y pense ? Qu’on a envie de lui écrire tout le temps ? Qu’on voudrait le croiser à chaque coin de rue ?

Parce que qui ressent, perd ? Au contraire. Mais si on doit simuler le détachement pour avoir une chance, peut-être qu’on se plante complètement de partenaire.

"Hitch, expert en séduction"
"Hitch, expert en séduction", plaisir coupable que je n'assume qu'à moitié © Columbia TriStar Motion Picture Group

Ce qui me dérange aussi, c’est la sémantique. « Se faire désirer », si on décortique, fait peser la responsabilité du « désir » sur la personne qui réussit (ou non) à le susciter. Comprendre : ce que pourrait ressentir l’autre à notre égard est finalement de notre ressort. Et parallèlement, si notre crush n’en a rien à foutre ou nous traite mal, c’est parce qu’on ne serait pas parvenue à être « désirable ». Difficile de ne pas culpabiliser d’enchainer les histoires foireuses après ça. 

Alors finalement, qu’est-ce qu’on fait ? N’ayant pas (encore) pondu de thèse sur le sujet, je ne peux que parler d’expérience. Je dirais que d’abord, on s’attaque au verbe. Peut-être qu’on ne « se fait plus désirer » mais on « se laisse désirer », tel·le qu’on est. Moins de boulot et plus de résultats, puisqu’on réduit les risques de tomber sur quelqu’un·e qui ne nous aime pas. On essaie, aussi, de se concentrer sur ce qu’on recherche, sur ce qu’on veut d’une relation, plutôt que sur les supposés attentes de l’autre – qu’on a tendance à fantasmer, d’ailleurs. De quoi rendre les rapports plus authentiques, riches, intenses. Meilleurs.

Et à ce sujet, croyez-moi, le désir ne s’éteint pas avec la sincérité. Loin de là.

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