« PAPA, C’ÉTAIT MOI »
Et je ne vole pas encore. Du moins, si le terme maturité est associé aux battements de mes ailes de poulet. Tu me diras que je suis sur la bonne voie et que c’est l’exercice d’une vie, que je suis privilégiée et qu’il est de mon ressort que de gagner ce que je veux gagner. À toi qui me fais rire, qui me rassures et qui me demandes de redescendre quand je prends le melon : un pauvre dimanche par an ne suffira pas pour te remercier de l’éducation et de l’attention que tu m’as accordées.
Je me mettrais bien trois paires de claques quand je pense à ces mots que je t’ai jetés quand j’étais encore adolescente. Je pense à mon culot, mon égo sur-dimensionné, ma passion de l’époque pour la télé-réalité et mes non-scrupules à l’idée de te demander de la thune pour boire des boomerangs quand je te jurais que j’allais au ciné. Je baisse les yeux sous le regard de ceux et celles qui n’ont pas ou plus la chance d’avoir une figure parentale comme toi dans leur vie. Et chers lecteurs, vous ne m’en voudrez donc pas de célébrer l’amour entre père et enfant via ces lignes – mon objectif n’étant absolument pas de vous ennuyer.
Alors je sais, papa, tu auras essayé de me faire aimer l’automobile, le bricolage ou autres trucs qui ne m’ont que très peu intéressée autrefois. Tu m’as appris à aimer la musique (AQUA, Noël 1998) et tu m’as permis de voyager aux quatre coins du globe en soulignant que c’est la raison pour laquelle il fallait « cravacher ». Tu as respecté ma mère, en a fait ta première dame, et tu m’as longtemps rappelé que derrière tout grand homme… Il y avait une grande femme. Tu m’as fait des blagues, tout le temps, et m’a éduquée à base d’humour, d’amour et d’ouverture d’esprit pour que je m’adapte à n’importe quelle vie. Tu m’as donné envie de traîner avec des garçons dès l’école, de ne faire aucune différence entre les sexes car j’étais « égale aux hommes » – et qu’il faudrait les leur rappeler. Bref, je pourrais te résumer toutes les raisons pour lesquelles je ne te remercierais jamais assez mais je pensais plutôt à dépoussiérer certaines vérités puisque cette chronique était l’origine rédigée pour se bidonner un bon coup et apporter un peu de légèreté à 2020.
Je suis désolée pour
- Ne pas avoir eu le courage de t’admettre que ce jour-là, j’ai en effet fait pipi dans la piscine.
- Te faire rater TURBO le matin, parce que je regardais my sweet 16 et que ça valait quatre fois n’importe quel autre programme. Pareil pour mes trois heures quotidiennes devant MTV.
- Ma phase DIAM’S. Avec une seule et unique chanson en boucle car c’était un single.
- Culpabiliser plutôt que de simplement te dire que j’avais mes règles. Ou de les avoir utilisées pour que tu me laisses tranquille alors que ce n’était pas le cas.
- t’avoir dit que je ne rentrais pas en boîte à cause de mon appareil dentaire. Mes copines me demandaient de fermer la bouche et de ne pas parler face aux vigiles.
- Avoir tapé dans ta cave. La semaine passée.
- Te hurler que tu ne comprenais pas car tu « ne savais pas ».
- Les joints que je t’ai assuré ne pas avoir fumer.
- Les tacles. Tu m’as toujours répété que j’étais une femme, que je méritais le respect et que je ne devais laisser personne me maltraiter. Tu étais parfois mon étude de cas préférée, j’ai joué de ta patience et je m’en suis régalée.
- T’avoir filmé quand tu ronflais avec un doigt dans le nez.
- Ma passion pour le camion de glace. Encore la semaine passée.
- Avoir ramené des garçons que tu trouvais cons à la maison.
- Ne t’avoir jamais dit que tu avais quasiment raison sur tout ce que tu m’as enseigné.
- L’argent que je t’ai coûté : en tant qu’enfant, fille et femme, car tu as toujours veillé à ce que je ne manque de rien.
- Ta voiture que j’ai volontairement rayée (je r-i-g-o-l-e).
Et si j’espère pouvoir inverser la tendance, et à mon tour veiller sur toi car j’ai eu beaucoup de chance jusqu’ici, je veux aussi que tu me promettes de continuer. Me faire la morale, me rassurer, me rapatrier trois mois pour rester confinée à tes côtés, me souffler que ta maison est ma maison, me demander de redescendre, de travailler et de garder la tête sur les épaules pour y arriver. Il faudra que tu me répètes que nous devons oeuvrer pour l’équité, que les hommes et les femmes doivent être égaux et que mon sexe m’a quand même calé une petite balle dans le pied. Qu’il faut travailler dur pour y arriver, penser intelligemment mais ne pas limiter sa créativité. Et je te sermonnerai que je milite pour un monde plus juste, que les humains se respectent et que mon pays soit plus ouvert d’esprit ; que j’ai peur de la science et de ces combats que l’on peut possiblement mener pour régner. Mes grands-parents t’ont donné la meilleure des éducations – à l’époque. Valeurs que tu as, sur fond de Bob Marley, Gainsbourg, Pink Floyd et Will Smith, transmises à ta sauce et à ta progéniture selon de nouvelles décennies. Comprends donc aujourd’hui mon envie de transmettre cet amour universel et cette hargne de la vie.
Bonne fête hier, aujourd’hui et demain. Et surtout merci.
Une chronique de Margaux Rouche.