VOYAGE DANS LES CHAMPS DE CHANVRE AVEC HO KARAN
Dinéault, sur les hauteurs bretonnes, pas loin du bout du monde. Le soleil de plomb a remplacé les pluies intempestives des derniers jours et abat la plus belle carte de la région. La terre est encore sèche. Elle s’émiette presque au toucher. Au loin, à travers champs, une parcelle toute de vert vêtue se distingue. Des feuilles pointues, un peu tombantes – pas si méconnues que ça – émergent de part et d’autre. Nous nous rapprochons, embarquant nos souvenirs d’adolescent.e.s avec nous. Un levé de jambes et quelques pirouettes plus tard, nous voilà immergé.e.s sous les plants de cannabis sativa, aussi connu sous le nom de Chanvre industriel.
L’amour du chanvre
À l’ombre d’un arbre, à proximité d’un champ de chanvre, Laure Bouguen, présente derrière la marque de cosmétique bretonne Ho Karan – à base de cannabis –, commence par introduire la plante, et disperser toutes méprises : « C’est vrai que l’on si perd parfois, mais le cannabis et le chanvre sont deux appellations différentes pour une seule et même plante. » Le regard au loin, sourire en coin, la Bretonne remonte le fil de ses souvenirs, afin de livrer sa tendre histoire avec la plante.
Elle relate comment toute petite elle a regardé ses grands-parents cultiver ces plants de cannabis sativa, en utilisant la tige pour en faire du papier, pas très loin d’ici, à Quimperlé. « À l’adolescence, je me suis rendu compte que le cannabis était connu et apprécié pour ses fonctions récréatives. De mon côté, je souhaitais montrer que le chanvre ne se cantonnait pas qu’à cette utilisation, qu’il était bon pour tout un tas de raisons. » En grandissant, s’il n’a pas été aisé de se faire entendre, la jeune femme d’aujourd’hui 29 ans n’a jamais baissé les bras. Ho Karan, ou « je vous aime » en breton, est d’ailleurs née d’un projet universitaire, pas toujours pris au sérieux. Ce qui aura finalement poussé cette ambitieuse à aller jusqu’au bout de ses idéaux.
Travailler avec du chanvre, c’est aussi se heurter à des portes fermées, et marcher sur des chemins parsemés d’embûches. « Nos premières campagnes de publicité ont été fermées pour cause de « promotion de substances stupéfiantes, sous un jour favorable ». Même s’il n’y avait aucune trace de drogue dans nos produits, l’appellation « cannabis » restait encore connotée », se rappelle amèrement Laure.
Encadrer pour mieux diffuser
Finalement, cet amalgame présent dans les esprits s’accorde plutôt bien avec ce flou législatif qui encadre le marché français du cannabis. Qu’est-ce qui est légal et permis ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ?
Ces champs de chanvre industriel (aka cannabis sativa), agrémentés de papillons blancs, comme ils s’en dressent aujourd’hui sous nos yeux, sont pleinement autorisés en France. Non seulement parce qu’ils ne sont destinés qu’à l’industrie. Ensuite, parce que les fonctions récréatives, ou thérapeutiques de ces plants sont écartées.
Au loin, au milieu de la plantation, la voix de Pierre-Yves Normand résonne. Ce passionné, expert de la culture et de la transformation du chanvre légal, aussi fondateur de l’association Bretagne Chanvre Développement, pourrait passer des heures et des heures à expliquer les spécificités, les bienfaits et ce qui pêche encore en France et à travers le monde, pour que le cannabis trouve sa place. Il explicite ainsi que, pour le sativa, le THC, molécule psychotrope est limitée et contrôlée pour ne pas dépasser les 0,2 %. Il insiste aussi sur la possibilité d’utiliser la quasi-entièreté de cette plante, pour du textile, des cosmétiques, de l’alimentaire, mais aussi de l’isolant pour les bâtiments.
« Quasi-entièreté » car, suite à un arrêté du 22 août 1990, stipulant que seules les fibres et les graines sont autorisées, la fleur reste source de discordance. N’étant pas stipulée dans les textes de loi, elle n’est pas autorisée à l’extraction. Et le CBD – autre molécule cannabinoïde – non interdit, doit être exploité dans d’autres pays européens, quitte à être importé par la suite en France.
Actuellement, de nombreux adeptes du Cannabidiol (CBD) militent pour l’extraction de cette molécule sur le sol français. Contrairement au THC, ce cannabinoïde n’a aucun effet addictif, et ne disposerait que de vertus apaisantes, calmantes, très recherchées.
Face à toutes ces complications, Laure, toujours assise à l’ombre, jambes croisées en tailleur, champ de chanvre à perte de vue, rebondit sur ces différentes problématiques. « Après s’être confronté.es à ces différents flous législatifs, puis à ces mêmes problématiques, qui revenaient, encore et toujours, en 2017, avec deux autres entrepreneurs, nous avons décidé de créer le Syndicat Professionnel du Chanvre. Le but étant de faire du lobbying sur la fleur et les cannabinoïdes. Maintenant, nous sommes plus de 90 personnes. » Tous.tes en sont convaincu.e.s, le chanvre, c’est l’avenir. Et si la plante a déjà révélé bon nombre de ses vertus, désormais, seule une législation à la hauteur est attendue.
Un futur all green ?
Après ces quelques jours passés en la compagnie d’Ho Karan, voici la question qui anime nos pensées : et si l’avenir appartenait au chanvre ? La jeune femme, pigmentée de vert et de blanc, couleurs emblématiques de la marque, nous détaille les différents bienfaits de cette plante, de son huile et du CBD, aussi présent.e.s dans ses produits cosmétiques. « Le chanvre c’est tout simplement une solution déstressante, pour la peau, le corps. Dans nos cosmétiques, nous allons booster le CBD avec du procollagène et ça a de réels effets régénérants et repulpants. L’huile seule hydrate et reconstitue le film hydrolipidique de la peau. Une partie du chanvre offre beaucoup de possibilités, la plante a réellement mille et une vertus et c’est pour cela qu’elle m’intéresse. »
Ho Karan représente une dizaine de produits à base d’huile de chanvre et de Cannabidiol (CBD). Au-delà d’un effet de mode, cette marque, est avant tout « une philosophie de vie », comme le décrit Laure Bouguen. « Derrière Ho Karan, nous souhaitons diffuser ces cinq valeurs : l’expertise du cannabis, la durabilité au sens écologique et social, le soin holistique des personnes qui nous entourent, le « pas de côté » – présenter les choses sous un nouvel angle – et l’éducation pour militer passivement ». Au fond, l’écoféministe en est persuadée : il existe une convergence des luttes, entre l’écologie, le féminisme et bien d’autres engagements. « Lorsque nous gagnerons le combat de la fleur – ce n’est pas pour rien qu’elle s’appelle ainsi – une forme d’équité se créera. J’en suis convaincue. »
Article de Marie Le Seac’h