Retour sur la Fashion Week de Paris Automne-Hiver 24-25 en 6 défilés marquants
Clôturant traditionnellement le marathon mode saisonnier, de New York à Milan en passant par Londres, la Fashion Week de Paris a encore une fois servi d'écrin à des collections automne-hiver excitantes et innovantes, bien que timidement engagées. Une fois n'est pas coutume, force est de constater que la mode a catégoriquement refusé d'être politique.
Pourtant, la Mode, avec un grand M, reste, bon an mal an, un reflet de son temps, de l’Histoire avec un grand H. Outre, le « deux poids deux mesures » évident, on retiendra peut-être l’envie du milieu de faire son examen de conscience. Faute de porter un regard concerné et accusateur vers l’extérieur, il a le mérite de balayer, subrepticement toujours, devant sa porte. Où en est la diversité ? La ribambelle de mannequins bigarrées cache-elle encore une forêt d’équipes monochromes en backstage ? Où en est l’inclusivité des corps ? « De Ester Manas à 0%, real quick », commentait une journaliste spécialisée au regard de calculs qui ne sont pas très bons. Mention assez bien pour le trio Nina Ricci, Mugler et Off-White, tout de même. L’agisme endémique a-t-il reculé ? Quelques grands noms se sont joliment démarquées en faisant défiler des femmes de plus de 40 ans, montrant ainsi que l’Amour de la mode avec un grand A n’a absolument pas d’âge.
La soutenable légèreté de l’être chez Chloe
Une cascade de francs sourires. Des regards complices et approbateurs. Telle fut l’atmosphère qui a accompagné la présentation de la collection inaugurale de Chemena Kamali, fraîchement nommée directrice artistique de la maison Chloé. Le parterre d’invité·es qui comptaient dans ses premiers rangs le top model Liya Kebede, l’actrice américano-britannique Sienna Miller, ou encore le duo mère-fille Jerry Hall et Georgia May Jagger ne s’y est pas trompé : les codes emblématiques de la femme Chloé ont opéré un retour volontaire cette saison. À la faveur de blouses fluides et amples, de robes en dentelle transparentes, de capes hivernales aux couleurs chaudes, de pantalons subtilement évasés et de manteaux aux coupes volumineuses, la maison où se sont succédé quelques grands noms comme Karl Lagerfeld, Stella Mc Cartney, Phoebe Philo, sans oublier Clare Waight Keller renoue volontiers avec son ADN singulier et ses premières amours. Celles du voyage, du romantisme, de la féminité et de la sophistication.
Coté accessoires, les ceintures estampillées Chloé en lettres d’or ainsi que les bijoux du même métal ajoutent une pincée de clinquant qui élève des silhouettes nonchalantes. Les cuissardes interminables ainsi que les bandeaux en laine tressée réaffirment l’esprit d’aventure et de liberté qui anime les adeptes de la maison Chloé. Chemena Kamali signe une collection automne-hiver 2024-2025 déjà célébrée pour son authenticité et sa révérence à l’histoire de la marque fondée il y a 72 ans par la Parisienne d’origine égyptienne Gaby Aghion.
Une Odyssée de l’espace signée Coperni
Ce fut comme une apparition. Un objet statique non identifié derrière lequel ont surgit des silhouettes longilignes aux allures futuristes. Ici, une série de vêtements d’extérieur archétypaux transformés en bodys, portés avec des talons aiguilles découpés en forme d’étoile et des lunettes de soleil aviateur. Là, de longs manteaux surdimensionnés en fausse fourrure, avec ourlet et manches trempés dans de la peinture de latex bleue et verte, agrémentés d’une ceinture technique noire et de boucles d’oreille argentées. Ailleurs, des robes ajourées, avec manches et basque à franges, suivies de hauts en jersey à manches longues seconde peau surmontées de boutons pression métallisés.
Pendant précisément 13 minutes et 58 secondes, Arnaud Vaillant et Sébastien Meyer ont fait défiler une collection Coperni automne-hiver 2024-2025 incisive et audacieuse, que le ballet des caméramans, dont la mission impossible était de capter le moindre mouvement des mannequins, contrastait avec la sérénité captivante de ces silhouettes vivantes. Nonobstant la stimulation oculaire de tous les instants, les regards attentifs se sont portés sur la star poid plume du show, à savoir le Air Swipe Bag composé à 99% d’air et 1% de verre. Développé spécialement pour la marque par le professeur Loannis Michaloudis, ce nuage devenu sac signature fut fabriqué à partir d’aérogel de silice, un nanomatériau développé par la NASA qui détient le record du solide le plus léger de la planète. Avec Coperni, nouvelles technologies et poésie font toujours bon ménage : ce nanomatériau très délicat (et non fragile) a été notamment utilisé pour capturer la poussière d’étoiles. Et des étoiles, le public en a eu plein les yeux.
Pour Dries Van Noten, l’oeil doit voyager
Sous le titre évocateur “The Woman Who Dares to Cut Her Own Fringe” (ou « La femme qui ose couper sa frange elle-même », le designer belge Dries Van Noten, connu pour son approche innovante et son talent à amalgamer le masculin et le féminin, brise les conventions en proposant cette saison une garde-robe minimaliste conçue pour des femmes fortes et affirmées. Sur le catwalk, les tons neutres tels que le beige, le gris et le noir servent de toile de fond aux éclats de couleurs vives qui viennent ponctuer des silhouettes volubiles. Les superpositions et juxtapositions de textures créent en filigrane un équilibre subtil entre l’audace et la douceur.
Des sweat-shirts à capuche portés de manière décontractée aux jupes en denim asymétriques, chaque pièce semble revêtir une vie propre, comme une joyeuse manifestation de la créativité ludique de Dries Van Noten. Le tout premier look, à savoir un manteau de chameau surdimensionné, orné d’un col enveloppant, annonce la couleur : il faudra s’attendre à l’inattendu. Tel un fil d’Ariane, l’audace ne s’arrête pas là. Les éclats de néon injectent une dose d’énergie et de vitalité à chaque tenue, tout comme les sacs XXL en cuir matte et à poils longs . Au-delà de la créativité pure, il y a un message profond d’autonomisation et de rébellion. Le vestiaire Dries Van Noten dessine les contours d’une femme moderne qui écrit ses propres règles, refusant de se conformer aux normes établies et embrassant sa propre singularité.
De joyeuses noces d’étain chez Louis Vuitton
Cette saison, Nicolas Ghesquière célébrait ses 10 ans à la direction artistique du prêt-à-porter féminin du géant du luxe Louis Vuitton — dont les activités dans le domaine de la mode datent de moins longtemps qu’il n’y parait. Comme nous l’a rappelé le film documentaire « Luxe. La fabrique du rêve » signé Nick Green et Peter Ettedgui et diffusé en septembre 2023, c’est seulement à l’aube du 21ème siècle (en 2001, plus précisément) que le fantasque designer américain Marc Jacobs présente pour la toute première fois une collection de prêt-à-porter siglée LV. Un succès fulgurant et stratosphérique que son successeur Nicolas Ghesquière a su poursuivre d’une main de maître à la faveur de collections toujours plus audacieuses et singulières.
Sous l’immense verrière de la pyramide du Louvre, l’heure était donc à la fête. Et que demander de plus pour honorer ces noces d’étain entre NG et LV qu’une boule à facette futuriste et XXL dont les milles connexions synaptiques semblaient faire le lien entre passé, présent et futur. Tel un alchimiste de la mode, Nicolas Ghesquière est passé maître dans l’art de subtilement tisser les fils du temps. Tantôt les vestes ornées de broderies exquises évoquent les fastes d’une époque révolue. Tantôt, les robes aux lignes épurées reflètent une élégance intemporelle. Pourtant, parmi ces notes nostalgiques, émerge également une mélodie de renouveau, portée par des créations contemporaines qui célèbrent 10 années de travail. La palette de Nicolas Ghesquière se déploie alors dans un kaléidoscope de textures et de couleurs, tel un peintre jouant avec la lumière et les nuances pour créer de saisissants tableaux. Les hauts drapés se dévoilent comme des sculptures vivantes, modelant gracieusement la silhouette, tandis que les vestes sculpturales, telles des armures modernes, cintrées à la taille, évoquent l’élégance de guerrières du troisième type. À travers chaque pièce, Nicolas Ghesquière insuffle l’essence même de l’esprit Louis Vuitton, celui d’une éternelle aventurière, toujours en quête de nouvelles frontières à explorer.
Miu Miu habille les petit·es et les grand·es de 15 à 97 ans
Mais que veut bien dire “s’habiller pour son âge” ? À travers sa collection automne-hiver 2024-2025, Miuccia Prada, l’emblématique directrice artistique de la marque éponyme Miu Miu, défie les conventions en remettant en question l’idée préconçue selon laquelle les vêtements devraient être choisis en fonction du nombre de bougies que l’on souffle chaque année. Sa proposition ? Un « vocabulaire vestimentaire, de l’enfance à l’âge adulte », où chacun·e est libre de se vêtir en fonction de sa situation, de son ressenti ou de ses préférences.
C’est donc un charivari de juxtapositions de styles et d’époques qui a défilé sur un catwalk minimaliste et sobrement éclairé, au dernier jour de la Fashion Week de Paris. D’abord de longs manteaux ajustés dans des tons classiques de marron chocolat, de bleu marine et de noir ont fait leur apparition, laissant progressivement place à des cabans classiques couverts de fleurs métalliques, ainsi qu’à des jupes volumineuses. Comme une évidence, on remarque l’attention particulière portée aux détails artisanaux, dont cette robe en tricot corail joliment ouvragée, associée à une veste en daim ornée de cristaux verts. Outre les vêtements, le casting renforce cette prise de position pour une mode inclusive. À l’instar du défilé Balmain par Olivier Rousteing, place aux mannequins d’horizons et d’âges variés : particulièrement aux femmes de plus de 40 ans, qui se font bien trop rares dans un milieu où la jeunesse éternelle reste l’ultime Graal. Saison après saison, Miu Miu célèbre ainsi l’anticonformisme de sa fondatrice dont le style oscille, de son propre aveu, entre celui d’une adolescente de 15 ans et celui d’une vieille dame à l’article de la mort.
La grande ritournelle d’Andreas Kronthaler pour Vivienne Westwood
Si l’on ne connaissait pas déjà les lieux (ayant passé une brève année universitaire au campus de la faculté Sorbonne Nouvelle Paris 3 à Censier), on se serait cru tout droit plongé·e au cœur de la forêt de Sherwood, enveloppé·e par le bruit du vent et les cris pénétrants d’animaux à la fois familiers et fantastiques. Seul aux commandes de la marque Vivienne Westwood depuis le décès de sa légendaire fondatrice, le directeur artistique Andreas Kronthaler a imaginé une expérience ô combien immersive, entre défilé de mode et performance, pour sa collection automne-hiver 2024-2025 à la croisée de la Renaissance italienne, du sportswear rétrofuturiste et du folklore païen.
Sur les airs énigmatiques et organiques de la troupe autrichienne Sons of Sissy, dont les instruments de percussions incluaient aussi leurs propres corps — fessier inclus, les modèles qui arboraient tous·tes un maquillage ostentatoire, presque fantomatique, ont donné vie à des silhouettes d’une modernité surannée. Les parures plastron en forme de seins répondaient aux cuissardes sculpturales, en guise de bottes de sept lieues. Les pourpoints déboutonnés complimentaient des robes texturées aux manches volumineuses. Les collants médiévaux et autres pulls de laine savamment ajourés faisaient écho aux manteaux en tweed, accompagnés d’imposantes chaussures en tartan. Autre anachronisme pas du tout anodin, plusieurs jockstraps aux finitions techniques étaient portés, semble-t-il, en guise de sacs banane (sans mauvais jeu de mot), ou plutôt de mini poche kangourou, afin de rester dans le thème du bestiaire. Avec Andreas Kronthaler, la mode retrouve le sourire et le vêtement son impertinence. « Quel est le but de confectionner des habits ? ». À cette question préambulaire posée par le compagnon de longue date de Vivienne Westwood dans le communiqué adressé à la presse post défilé, lui-même répond sans équivoque : « Ils servent à faire du bien. Nous voulons créer du désir. C’est l’essence même de la mode. »
Article de PK Douglas