La jeune création qui a galvanisé la Fashion Week de Paris AH24 en 8 défilés
Chenpeng, Duran Lantink, Ester Manas, Galvan, Maitrepierre, Marine Serre, Vaillant et Zomer : 8 labels qui ont marqué la Fashion Week de Paris par leur singularité, leur créativité et leur engagement. Retour en images et en mots sur leurs collections Automne-Hiver 24-25.
La semaine de la mode parisienne, saison Automne-Hiver 2024-2025, a clôturé un mois entier consacré à ce que nous porterons l’hiver prochain, de New-York à Londres, en passant par Milan. Après quelques jours de répit, une fois la tornade passée, quelques noms restent encore sur toutes les lèvres. Parmi eux, les déjà bien installés Chenpeng, Marine Serre et Vaillant, ceux qui raflent tous les prix comme Maitrepierre, Duran Lantink et Ester Manas, sans oublier ceux qui passent leur baptême du feu parisien comme Zomer et Galvan. À leur manière, ces griffes ont réussi à marquer les esprits.
Le rouge et le noir de Chen Peng
Créée en 2015, la marque éponyme CHENPENG a proposé une nouvelle collection aux accents coutures. En utilisant uniquement les tons rouge et noir, elle restreint sa palette de couleurs, mais multiplie les possibilités. CHENPENG parvient à évoquer, au travers des vêtements et des accessoires, les nombreuses significations du rouge et du noir comme pourrait le faire le célèbre historien des couleurs, Michel Pastoureau. Du danger au mystère en passant par la passion, le pouvoir et l’élégance, les silhouettes monochromes se succèdent pour finir par ne former qu’un seul et même tableau.
Idem pour les formes végétales, entre la fleur et le fruit, qui sont d’abord présentes par touches jusqu’à créer une robe noire. Les robes et les manteaux ont des épaules basses, des manches bouffantes qui forment un coeur, animé au fil des pas des mannequins. Parmi les quelques silhouettes masculines, toujours aux épaules tombantes mais surmontées d’un chapeau haute forme, l’une ressemble à une ombre qui se défilerait. Inspirée des années 1980, la collection s’est clôturée sur la traditionnelle robe de mariée réinterprétée pour l’occasion aux couleurs ébènes. La collaboration avec le label de chaussures EMPTY BEHAVIOR scelle la réussite de cette collection qui aurait certainement ravie Jeanne Mas, interprète de la chanson « En rouge et noir ».
Les courbes hivernales de Duran Lantink
Vainqueur du Prix Spécial de l’ANDAM en 2023 et toujours encore en course pour le Prix LVMH 2024, Duran Lantink a livré pour la deuxième fois à Paris, une collection brillante qui repousse les limites du corps. Dans la lignée de grands designers comme Iris van Herpen, Rei Kawakubo ou Rick Owens, il cherche à « créer des essentiels qui sont hors-normes ». En rondeur et en volume, il s’inspire cette saison du vestiaire des sports d’hiver, et crée des silhouettes surprenantes qui rappellent dans le même temps des codes vestimentaires connus de toustes, comme la combinaison de ski ou le collant en laine qui monte tout de même jusqu’aux aisselles.
Afin de marquer les différences de proportions, les silhouettes sont, pour la plupart, construites en opposition. Si les épaules sont marquées, la poitrine rembourrée, alors les jambes sont vêtues d’un simple collant. Les épaules, les hanches et le ventre sont arrondis, exagérés même. La palette de couleurs utilisée est assez réduite : du noir aux tons beige et marron en passant par le rouge uniquement. C’est par la forme, pas par la couleur, que Duran Lantink envisage de faire bouger les courbes. C’est chose faite avec cette collection construite à partir de tissus de dead stocks.
La lettre de retrouvailles d’Ester Manas
Après deux saisons loin des podiums, la marque responsable et inclusive créée par le couple Ester Manas et Balthazar Delepierre, revient en force avec trois lignes distinctes sous l’égide ‘Ester Manas’ : la Hot line spécialisée en lingerie, la Cold line dédiée aux vêtements d’extérieur et la Jersey line pour les essentiels. Pour cette collection intitulée « Missed You », la marque ravive ce qui a fait son succès : l’asymétrie, les fronces, le mesh et la transparence. Pour finaliser les looks toujours synonymes de confort et de féminité, Ester Manas collabore avec Jimmy Fairly pour des solaires à monture rectangle mais aux verres papillon, les « Half-and-Half », inspirées par la superposition des lunettes d’Ester sur celles de son associé et mari. Ce décalage entre ces deux formes apporte une touche d’originalité à une collection qui se distingue des précédentes.
Ester Manas est l’une des marques les plus en phase avec son temps. Ce ne sont pas uniquement des vêtements qu’elle met à la disposition du public qui apportent un vent nouveau, mais aussi les nouvelles représentations, tant sur le catwalk que dans la manière de concevoir le vêtement, de sa confection à l’expédition. Avec cette collection, Ester Manas poursuit le chemin audacieux dans lequel elle s’est engagée, alliant création et engagement.
Une première parisienne réussie pour Galvan
Pour cette première à la Fashion Week de Paris, la marque londonienne créée en 2014 par Anna- Christin Haas, l’actuelle directrice de la création, frappe un grand coup. Intitulée « A Fleeting Thought » que l’on peut traduire en français par la formule « Une pensée fugace », la collection Automne-Hiver 2024 tire une partie de son inspiration dans le travail du duo d’artistes Hedda Roman formé par Hedda Schattanik et Roman Szczesny. Leur oeuvre ‘The Longest Possible Game 17’ a même été reproduite sur une robe longue pour l’occasion. Une vidéo générée par une IA pensée par le duo d’artistes a été projetée avant le défilé lors d’une performance réalisée par deux danseurs.
Avec la danse, Galvan introduit la fluidité des silhouettes, et particulièrement celle des robes qui se meuvent sur les mannequins au point qu’elles donnent une impression de liquidité, de fugacité. Les rouges, les beiges, et les tons métalliques sont combinés au cuir et à la suédine. D’abord spécialisée dans les robes de mariée, la marque confirme cette saison que son savoir-faire s’étend bien au-delà de celles-ci. En termes de coupes, Galvan mise sur le très long. Qu’il s’agisse de jupes, de manteaux ou de robes, les pièces de cette collection recouvrent la totalité de la jambe. Plus que jamais, cette saison, le style de la femme Galvan est intemporel mais affirmé.
Maitrepierre, aux antipodes avec « Less&More »
Avec « Less&More », Alphonse Maitrepierre détourne la formule minimaliste « Less is more » à son avantage et propose 26 looks, dont la moitié est noire. En faisant cohabiter deux esthétiques qui peuvent entrer en opposition, Alphonse Maitrepierre prouve qu’il est capable de jongler d’un univers à l’autre et révèle un univers dualiste, loin d’être clivant. Les associations de couleurs, dont les silhouettes représentent l’autre moitié des 26 looks, sont puissantes et traduisent l’originalité de la vision du designer. L’une d’elles, d’un violet radiant, plus ravivé encore par le rouge du Diablo, sac iconique de la marque, se marie parfaitement avec les détails des brides des chaussures Carel, est un exemple de la maitrise des associations de couleurs.
Maitrepierre signe d’ailleurs une collaboration avec la maison de chaussures française qui comprend deux sacs exclusifs et la ré-interprétation des babies phares de la marque. Si cette collaboration a demandé de se replonger dans les archives de Carel, une activité qu’affectionne particulièrement Alphonse Maitrepierre, les matériaux sont en accord avec les problématiques actuelles et sont bio-sourcés. La force de cette collection réside, en partie, dans les accessoires, notamment la casquette-béret qui vient donner aux silhouettes une touche originale — particulièrement avec la voilette — tout en étant facilement portable. Les trois créatures colorées qui accompagnent les mannequins créent une passerelle entre les différents univers de Maitrepierre qui n’ont pas fini de dialoguer.
« Ground Control to Marine Serre »
Cette saison, Marine Serre a investi sur la halle du Ground Control dans le XIIe arrondissement. En reproduisant plusieurs espaces de vie, comme le Café de Serre, l’Effet de Serre Flower Shop ou le Bar de la Marine, la marque française a établi son terrain à la frontière entre réalité et fiction, entre humour et sérieux. Ce penchant pour la mise en scène a même influencé le casting des mannequins puisqu’un sosie de Kate Moss a même défilé. Comme pour correspondre au décor d’un jour, et pour insister sur l’illusion d’une rue passante, certaines mannequins arboraient un sourire, quand d’autres tiraient un cadis de course monogrammé.
Si plusieurs éléments de la mise en scène prêtaient à rire, la collection, divisée en plusieurs tableaux, rappelle les fondamentaux de la marque tout en explorant de nouvelles possibilités. Le monogramme croissant signature précède de nouveaux motifs reptile, le mesh noir les pièces plus colorées et les silhouettes sport, les pièces coutures du final du défilé. Avec cette collection, Marine Serre démontre qu’elle est capable de jouer sur plusieurs registres, mais aussi de se réapproprier les codes utilisés par d’autres maisons.
Vaillant prend de nouveau de l’« Altitude »
Pour cette nouvelle saison, Vaillant retrouve le dernier étage du Centre Pompidou comme un souvenir. Avec un décor similaire, la marque nous pousserait presqu’à jouer au jeu des sept erreurs. Avec « Altitude », elle poursuit son ascension vers un idéal de fluidité et de mouvement. Les pièces d’extérieur sont autant des boucliers que des pièces réconfortantes pour la femme Vaillant·e. L’écrasante majorité des silhouettes montre des jupes ou des robes, à strass ou à plumes, qui font écho au monde de la nuit et notamment à la mythique discothèque Studio 54, l’une des sources d’inspiration de cette collection.
En empruntant les bombardiers et les cabans du vestiaire masculin, Vaillant trouble les frontières du genre et ne s’enferme pas dans une féminité rangée. La femme Vaillant·e semble toujours habillée à la hâte, elle ne porte pas de bijou, lui préférant le drapé d’un top montant pour habiller le cou. L’abandon progressif de la dentelle, détail signature de la marque, s’effectue au profit d’autres expérimentations déjà amorcées précédemment, comme le tailleur en vinyle orange. Avec cette collection Automne-Hiver 2024-2025, Vaillant annonce être à l’aube d’un nouveau chapitre.
Forever Young par Zomer
Après un premier essai, la très jeune marque Zomer fondée par le styliste Imruh Asha et le designer Danial Aitouganov joue désormais dans la cour des grands puisque son défilé était inscrit au calendrier officiel de la Fashion Week parisienne. Les deux têtes pensantes de la marque convoquent cette fois-ci de multiples références artistiques : les fentes des tableaux du peintre argentin Lucio Fontana se retrouvent sur des manteaux et sur des robes, deux bustiers en verre ont également été réalisés par Christian Kane pour Heven, une plateforme spécialisée dans les accessoires et objets en verre soufflé.
Comme lors du premier défilé, la palette de couleurs est très large, les associations sont surprenantes et les motifs viennent bousculer l’ordre des proportions. Le corps va jusqu’à être emprisonné, les bras sont maintenus en l’air dans une combinaison façon justaucorps. Cette chrysalide à motifs multicolores symbolise la récente naissance de la marque qui semble déjà se souhaiter un long parcours, en témoigne le salut des deux fondateurs, effectués par deux répliques d’eux-mêmes à un âge avancé. Entre cette genèse et le moment où les deux fondateurs atteindront l’âge qu’ils prétendaient avoir en conclusion de ce deuxième défilé, tout peut arriver. Ce qu’on leur souhaite, c’est de conserver leur âme d’enfants.
Article de Julie Boone