Focus sur Miista, où créativité et durabilité forment un savant tandem
Connue pour ses chaussures aussi originales que désirables, Miista s’aventure désormais dans le prêt-à-porter avec une nouvelle collection placée sous le signe de l’expression de soi. L’occasion rêvée de revenir sur le parcours de sa fondatrice, Laura Villanesin, pour qui tradition et modernité font la paire.
PK.D. Si vous deviez décrire Miista en une phrase, quelle serait-elle ?
L.V. Miista est née de l’idée de mélanger différentes influences, différents artisanats et différentes techniques pour créer une marque vraiment unique, qui fait réfléchir. En un mot, Miista est une belle macédoine !
PK.D. Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer votre propre marque de chaussures, il y a déjà 10 ans ?
L.V. J’ai toujours été fascinée par le design en général, par la manipulation de matériaux et l’utilisation de techniques diverses. Après avoir étudié la conception de produits, spécialité mode, chaussures et accessoires au Cordwainers London College of Fashion, puis acquis une expérience pratique pendant quelques années, j’ai fondé Miista en 2010 dans l’est de Londres. Mon objectif était de créer des chaussures et des accessoires originaux·les dans leur conception, leur texture et leur forme, sans pour autant négliger le confort et la qualité de fabrication. J’ai commencé humblement et la croissance de la marque fut très organique, nous permettant de rester indépendant·es. Je suis également obsédée par le désir de préserver le savoir- faire artisanal européen. Il est vraiment difficile de trouver des artisan·es de moins de 55 ans en Europe, à cause, selon moi, de la stigmatisation injustifiée des métiers de l’artisanat dans la jeune génération. Nous – mon équipe et moi – voulons changer ça. Nous considérons l’artisanat de mode comme un art.
PK.D. Quelle a été votre source d’inspiration quand vous avez créé votre toute nouvelle collection de chaussures et de vêtements ?
L.V. Pour ma collection printemps-été 2022, je me suis vraiment inspirée du sentiment d’euphorie dans son acception première. J’ai voulu faire revivre l’hédonisme des années 60 et l’expression de soi comme une réponse à ces deux dernières années de restrictions. J’ai été inspirée par ce sentiment de liberté et de joie pures, lorsqu’on vit pleinement dans l’instant et qu’on ne veut pas que ça s’arrête. J’ai souhaité explorer cette émotion à travers les textures et les finitions. Les ourlets sont effilochés en opposition à la délicatesse des matériaux. Autant dans les chaussures que dans la collection de prêt-à-porter, les matières transparentes et fluides prédisent un été de tous les plaisirs, teinté d’un esprit punk. La collection est une ode à notre liberté retrouvée. Petit coup de cœur personnel ? Nos mules compensées inspirées de la poupée Barbie. Un pur bonheur !
PK.D. Lovée à la croisée des chemins entre tradition et modernité, artisanat et innovation, Londres et la Galice, Miista cultive le mélange des genres. Comment ces forces binaires influencent-elles votre processus créatif ?
L.V. Miista fusionne les opposés de manière délibérée et incarne un savant équilibre entre design, matériaux de qualité et artisanat local. Le Royaume-Uni comme l’Espagne influencent énormément mon processus créatif. Pablo (mon frère et partenaire commercial depuis six ans) et moi-même avons grandi en Galice. Cette partie du nord de l’Espagne est historiquement tournée vers la fabrication de vêtements. Au xixe siècle, l’industrie du vêtement a explosé dans cette région, en grande partie grâce aux artisan·es qui fabriquaient du prêt-à-porter à la main pour les personnes à faible revenu. L’arrivée de l’industrialisation a tout changé. De nombreuses usines qui exploitaient des petites fermes à côté n’ont tout simplement pas voulu faire partie du système capitaliste de fabrication de vêtements, préférant préserver leurs entreprises à taille humaine face aux géants de l’industrialisation. La réalité politico-sociale conflictuelle de l’industrie textile dans cette région inspire la vision de notre marque. L’aspect cinématographique et nostalgique de notre enfance dans la campagne galicienne, entouré·es d’une famille de fabricant·es et d’agriculteur·rices, associé à l’urbanisme brut de l’est de Londres, donne naissance à des expérimentations et des rencontres inattendues entre les matières. C’est ça, l’ADN de Miista.
PK.D. Pourquoi est-ce nécessaire pour vous de remettre de l’artisanat dans la mode contemporaine ?
L.V. Faire revivre l’industrie textile dans le nord de l’Espagne et renouer avec la tradition d’un artisanat local sont de véritables enjeux pour nous. C’est la raison pour laquelle nous avons ouvert notre propre usine de fabrication en 2020 dans la région de la Galice. Ça nous a permis d’avoir une plus grande liberté et de créer notre toute première collection de prêt-à-porter pour femmes de manière responsable. Je suis extrêmement fière que nous puissions quasiment tout produire en interne, car c’est assez rare pour une marque contemporaine et indépendante de contrôler sa chaîne d’approvisionnement comme nous le faisons. Le fait d’avoir une usine nous permet aussi de créer de la richesse dans ma région d’origine, en offrant des opportunités d’emploi et des programmes de formation pour les jeunes, de nous approvisionner en matériaux de très bonne qualité et de travailler en collaboration avec nos fournisseur·ses. C’est un gros investissement et les défis sont nombreux, bien sûr. Mais nous sommes heureux·ses de sacrifier une partie de notre profit et d’avancer à contre-courant de certaines dérives du monde de la mode afin de créer un produit qui a à la fois de la personnalité et de la valeur esthétique.
PK.D. Explorer vos réseaux sociaux, notamment votre compte Instagram, s’apparente à un voyage cosmique ponctué de spiritualité, d’ésotérisme, de magie et d’excentricité. En quoi cette originalité et l’engagement qu’elle engendre de la part de votre communauté en ligne sont-ils importants pour la marque ?
L.V. Je dis souvent que notre mission est de surprendre notre communauté et de faire réfléchir les gens. J’aime encourager un environnement immersif de collaboration et de créativité. Notre approche consiste à créer de belles pièces et à les mettre en valeur grâce à un contenu qui suscite la réflexion et favorise l’expression. On a eu de nombreux succès et, parfois, quelques ratés ; mais l’humour reste toujours présent. Savoir rire de soi-même est essentiel !
PK.D. Quelle(s) décision(s) majeure(s) avez-vous prise(s) sur la base d’une intuition profonde et que n’avez jamais regrettée(s) ?
L.V. Je m’épanouis grâce aux relations personnelles de confiance que j’ai tissées au fil des années, et c’est grâce à ces personnes incroyables qui m’entourent depuis dix ans que j’ai pu fonder Miista. C’est la décision la plus importante que j’aie prise en suivant mon intuition. Des regrets ? J’en ai parfois. Mais je regarde surtout vers l’avenir !
PK.D. Vous avez également créé votre propre podcast, Miista Says. De quoi parlez-vous avec vos invité·es ?
L.V. Notre podcast est une série culturelle qui démêle l’actualité et les mouvements contemporains. Nous enquêtons sur les micro-tendances et discutons avec les femmes qui en sont à l’origine. Nous couvrons différents sujets allant du sexe dans le métavers à la mode Y2K, en passant par la réalité de la vie d’une femme, ou la mode dans l’art.
PK.D. Un dernier mot sur vos projets en cours et sur ce que nous réserve Miista ?
L.V. Je suis extrêmement fière de notre dernière collaboration avec quatre femmes photographes qui posent un regard unique sur le monde à travers notre collection printemps-été 2022. Dans le cadre de cette série photographique, Their Gaze, nous voulions mettre en lumière des récits souvent négligés dans la société contemporaine, ainsi que des femmes créatives vraiment intéressantes, qui ont une histoire à raconter. J’ai adoré voir les clichés que Mayan Toledano, Ruth Ossai, Julie Poly et Jamie-Maree Shipton ont réalisés avec notre collection dans des endroits qui leur sont chers, à savoir le Mexique, l’est de Londres et l’Ukraine. Nous avons aussi beaucoup de choses passionnantes en préparation cette année, dont l’arrivée de nouvelles pointures pour notre gamme ICONS. À ne pas rater !
Article issu de PAUL.E N1 « EVOLVE »