Alga : “J’aimerais donner la possibilité à la personne qui crée son bijou d’y déposer son affect.”
Fanny Bergerot, la créatrice de la marque de bijoux Alga, collabore avec le photographe Virgile Castro afin de mettre en valeur sa dernière collection. Iels présentent leur travail à travers un entretien croisé en exclusivité pour PAUL·E.
Alga, c’est avant tout une histoire d’amitié et d’admiration où chacun·e explore de nouveaux horizons, append de l’autre et crée avec passion. Entretien, rare et précieux, avec ce duo, jeune, capable et libre.
PAUL·E : Comment vous est venue l’idée de créer la marque de bijoux Alga ?
Fanny Bergerot : La création est venue progressivement. J’ai toujours été intéressée par le bijou en tant qu’objet qui, selon moi, est synonyme de lien dans lequel on dépose un affect. Ce rapport là m’a toujours fort intéressé. Le workshop que j’ai effectué à la Cambre avec un duo de bijoutières, Wouters & Hendrix, pendant lequel j’avais dessiné une ligne de broches qui mélangeaient tige filetée, appâts en verre pour truites, chaînes et perles, a été un moment déclencheur. J’ai réalisé que le bijou allait prendre une grande part dans ma vie et que c’était à travers cet objet que j’avais envie d’exprimer ma créativité.
P. : Quelles sont les principales sources d’inspiration pour vos créations ?
F.B. : C’est surtout la biodiversité et les micro-organismes marins en particulier. Pourquoi ? Parce que dans le marin, il y a un mouvement qui m’intéresse, qui est mouvement à la fois hypnotique et répulsif. Quand on voit une anémone bouger dans le fond de l’eau, une algue, un poisson. Il y a quelque chose qui m’intéressait justement dans cette dualité là du mouvement et que j’avais envie d’amener vers les créatures d’Alga. Séductrices dans un premier temps, mais dont il faut se méfier quand même, parce qu’à tout moment, si elle prend peur, elle peut se faire pousser des écailles sur le bout des doigts, une tentacule dans le coin de l’oreille. On a cette notion de créature mystique.
P. : Comment retranscrivez-vous esthétiquement cette inspiration dans vos bijoux ?
F.B. : Je pense qu’il y a beaucoup d’instinct dans mes créations. Je n’arrive pas à faire deux fois le même bijou. C’est ce qui fait que je me différencie aussi. Chaque pièce est unique et pour moi comme un mouvement marin, comme une branche de corail, comme comme une anémone. Chaque pièce va être unique, et synonyme d’une émotion sur un instant T. Je pense vraiment à ma marque comme quelque chose de vivant, sans cesse en métamorphose. Donc, je ne vais pas chercher à suivre ou même me bloquer dans une tendance. D’une collection à l’autre, je me mue en biologiste qui créerait ses propres espèces.
P. : Comment choisissez-vous les matériaux pour vos créations ?
FB : Mon champ de recherche est assez large dans le sens où je vais évidemment invoquer des “artefacts” de la bijouterie que l’on utilise très souvent comme des chaînes, des pierres, des perles. J’adore me perdre dans des boutiques destinées au matériels de pêche. Toutes les colorimétries qu’on retrouve dans les flotteurs sont incroyables. Récupérer des objets détournés, comme des appâts sonores pour truites ou des petits morceaux de flotteurs, du fil de nylon de pêche. Je collecte aussi énormément de matière naturelle, comme des coraux, des coquillages évidemment. J’ai une collection de matériaux assez fourni et sans limite.
« Le plus important est de sourcer ses matériaux de manière responsable », Fanny Bergerot
P. : La biodiversité est aujourd’hui menacée. Est-ce un engagement qui influence votre travail ?
FB : Je n’aurais pas la prétention de dire que ma marque tente de faire passer un message. Mais effectivement, j’y suis très sensible. Mon rêve serait de collaborer avec des gens dont le métier est intrinsèquement liés à la conservation de la biodiversité pour pouvoir discuter, en parler, éduquer, et même investir une certaine partie de mes revenus dans la recherche et dans l’entretien de ces milieux qui sont très fragiles. Et, le plus important est de sourcer ses matériaux de manière responsable.
P. : Virgile Castro, pourquoi avoir collaboré avec Fanny Bergerot et sa marque Alga ?
V.C. : C’est une histoire d’amitié et d’admiration. Je photographie les gens que j’aime, les gens qui me touchent et leur travail. J’ai toujours eu envie de bosser avec Fanny depuis que je la connais et que j’ai découvert ses créations. Il y a un non conformisme dans la forme et dans la manière dont un bijou Alga est porté qui m’a tout de suite intéressé. Artistiquement, je n’avais jamais photographié de bijoux ou de nature morte. Faire ce projet ensemble, c’est aussi un moyen d’apprendre et de grandir ensemble.
P. : Quelles sont les techniques que vous avez utilisées lors de ce shoot bijoux ?
V.C. : J’aime bien créer dans la contrainte. Si tu as des cadres, des obligations, c’est comme un sonnet en poésie, ça te pousse à créer sous une forme, avec une direction. Pour les bijoux, il y a une nécessité d’avoir quelque chose de minutieux, de détaillé. Sur le premier shooting, c’était assez simple dans le sens où on était sur des mises en scène très rapprochées, dans un rapport au bijou assez classique. Pour le second, on a décidé d’avoir du plein-pied, de laisser une grande place au stylisme, de comprendre les photos dans leur ensemble avec plusieurs personnes qui portent le bijou. Donc, on a trouvé un système de loupes pour que les bijoux puissent être vus de loin.
« Si tu as des cadres, des obligations, c’est comme un sonnet en poésie, ça te pousse à créer sous une forme, avec une direction », Virgile Castro
P. : Comment mettre le stylisme au service du bijou et pas l’inverse ?
V.C. : On prend pas de grands designers. (Rires). Par exemple pour ce dernier shooting, le styliste Guillaume Rochas a associé énormément de vêtements et d’accessoires qui étaient mis au service du bijou. Je pense aux foulards entourés de bagues, le vêtement devient second, un simple support. C’est aussi la force de Guillaume d’associer des choses assez simples et assez neutres qui vont valoriser le bijou. Puis le cadrage et la lumière font le reste.
P. : Quel regard portez-vous sur cette collaboration avec Alga ?
V.C. : Nous nous sommes tiré·es vers le haut et nous avons construit ensemble. Fanny m’a permis de faire des choses que je n’avais jamais faites avant. Elle m’a permis de bosser avec des gens que j’admire comme l’artiste Juliet Merie qui à fait la scénographie sur notre premier shoot et qui nous accompagne encore aujourd’hui. Je pense qu’on a toustes les deux la volonté d’aller un petit peu à l’inverse de ce qu’on voit trop souvent aussi. On a envie de relier Alga au Sud-Ouest, d’où Fanny vient, et avec lequel j’ai moi-même une connexion. On a tellement de plaisir aussi à bosser ensemble. Il y a quelque chose de tellement naturel, il y a quelque chose de tellement agréable et gratifiant, qu’il n’y a aucune raison de s’arrêter maintenant.
P. : Quels sont vos projets futurs pour Alga ?
F.B. : J’ai envie de travailler avec des bijoux phosphorescents dans le futur, avec du fil de pêche phosphorescent également, dont toute la difficulté va être de traduire cet effet en photo. On a envie de travailler avec Louise Vandervorst comme mannequin et qui a, en tant que set designer, construit une forêt qui sera le parfait élément pour montrer ces pièces-là.