Liautard and the Queen, l’agence d’archi qui met de la folie dans notre intérieur
Avec un nom comme celui-ci, PAUL·E ne pouvait qu'avoir envie d'échanger avec le duo à la tête de l'agence d'architecture d'intérieur la plus rock'n'roll de Paris, Liautard and the Queen.
En guise de pied de nez aux agences de design qui préfèrent souvent une appellation plus neutre, Maxime Liautard et Soraya Djemni-Wagner ont d’abord tergiversé avant d’adopter ce flamboyant blason, que certains membres de leur entourage trouvaient trop clivant. Qu’à cela ne tienne, Maxime et sa reine Soraya se démarquent grâce à une vision ouverte et inclusive de la décoration et du design d’intérieur, attirant autant de clients éclectiques, des plus classiques aux plus imaginatif·ves. Rencontre.
PAUL·E : Quels sont les principes fondateurs de votre agence d’architecture?
Liautard and the Queen : Tout d’abord, beaucoup d’humain. Nous venons de grandes agences et avons travaillé avec beaucoup de personnes. Nous souhaitions garder une agence à taille humaine pour que tout le monde s’y sente bien, et que cet esprit d’équipe fasse partie intégrante de l’agence. C’est vrai que ce qui nous intéresse dans le processus de création, c’est que chacun·e soit impliqué au début de chaque projet. On travaille tous·tes ensemble au départ pour que chacun·e puisse donner son avis et apporter son aide au projet. Par la suite, quelqu’un prend le lead, notamment dans le but d’offrir au ou à la client·e un·e interlocuteur·rice privilégié·e.
P. : Quel est votre processus de création ?
L.Q. : Connaissant les projets avant les autres membres de l’agence, on commence forcément à y réfléchir un peu en amont, avant d’ouvrir l’échange en faisant ce fameux workshop. Soit on reste à l’agence, soit on part à la campagne, afin de se déconnecter un peu des ordinateurs. On achète des livres et on se met toustes ensemble et chacun·e donne ses idées. Les idées viennent de tout le monde. Et après, on essaie de suivre la ligne directrice de Liautard and The Queen, réfléchir à ce que l’on veut mettre en avant et comment on voit les choses. On a des réflexions justement autour de la littérature, même du cinéma. Pour certains projets, on s’est même inspiré·es de certains films. On essaye aussi de se déconnecter un peu de Pinterest, qui est un très bel outil par ailleurs. L’idée étant de s’éloigner des facilités de recherche pour éviter de tomber dans cette redondance de style. On essaie de se rapprocher de différents types d’art, ce qui nous fait passer par les livres et le cinéma.
P. : Utilisez-vous des carnets de tendances ?
L.Q. : Alors, c’est drôle car on nous a posé la question une fois. Un confrère nous a demandé si nous avions des carnets de tendances. Pas du tout. Je n’ai jamais vu un carnet de tendances. Je ne sais même pas ce à quoi ça ressemble. Ne pas suivre la tendance permet vraiment de s’amuser, de faire quelque chose qui nous plaît. Aujourd’hui, je pense que si on a une clientèle qui vient à nous, c’est parce que l’on a un style un peu différent. Tout en étant porté·es par le projet spécifique du ou de la client·e et par l’idée qu’iel s’en fait, on infuse notre propre interprétation. C’est important de se détacher des mouvances, des tendances et d’avoir son style propre.
P. : Des projets qui vous ont marqué·es ?
L.Q. : Il y a eu deux projets complètement différents. L’un qui a été, contrairement à ce qu’on pourrait penser, assez épuré. Il s’agit du restaurant La Môme à Monaco, où finalement on n’y a pas été très fort sur les couleurs. On a pu jouer sur les calepinages, sur les matières, sur l’éclairage, même si on a mis des tissus assez forts. À contrario, on a un appartement qu’on vient de terminer ou là on y a été fort. Le client était très ouvert sur tous les matériaux, sur les tissus. Donc, c’est vrai qu’il y a énormément de couleurs. La Môme, c’est beaucoup plus calme. Par exemple, on s’est inspiré·es de « La main au collet ». C’est à Monaco. On a pu s’inspirer des films. C’est tout une autre histoire. Alors que pour l’appartement, ce sont des clients qui vivent à l’étranger, qui voyagent beaucoup et ont vraiment une vision de la vie. Ils voulaient quelque chose d’un peu éclectique, donc c’était une autre façon de travailler. À chaque fois on s’adapte. Et pour autant, c’est assez facile de trouver une histoire, un fil narratif et quelque chose à raconter avec un style fort.
P. : Quelle place ont la durabilité et l’écologie dans votre travail ?
L.Q. : C’est une réflexion qui fait partie intégrante de l’agence depuis sa création. C’est à dire qu’on va interroger les fournisseur·ses de matériaux, de tissus sur leurs propositions durables. La plupart du temps, on nous disait qu’il y avait très peu de choses, deux ou trois références en tissu et que du beige parce qu’il n’y a aucune couleur qui accroche les matières naturelles. Et puis d’autres nous disaient qu’il y avaient par exemple des cuirs végétaux, mais qu’ils provenaient du Mexique, de très loin par conséquent. Donc, il y a un choix qui s’opère entre la matière elle-même et sa provenance. Oui, ça a un coût environnemental finalement, de choisir une matière qui va être plus durable. Et puis après, il faut quand même avoir l’honnêteté de dire qu’on n’évolue malgré tout dans le milieu du luxe, qui est une architecture d’intérieur et une décoration de luxe. Et où finalement les questions écologiques peuvent avoir leur place au départ. Il peut y avoir une vraie volonté, qui malheureusement s’annule avec la réalité budgétaire, où on est contraint de faire des coupes dans le budget. Et finalement, il se trouve que l’écologie vient en seconde place par rapport à d’autres impératifs. Même si, au quotidien, on essaie d’aller vers des sources de marbre qui sont en Europe, par exemple, ou de prendre des matières qui sont déjà en Europe et qu’on ne doit pas faire venir de plus loin. Mais, soyons honnêtes, la déco de luxe a encore sa révolution à faire en terme d’environnement.
P. : Comment gérez-vous les imprévus au cours d’un projet ?
L.Q. : Il faut être psychologue avec les clients. Il faut être financier pour entrer dans un budget créatif. Il faut aussi trouver l’inspiration dans des moments où on ne l’a pas forcément. Et puis, il faut gérer le chantier. Et ça, c’est une grosse phase. Il y a des réalités d’approvisionnement, de matériaux. Il y a des réalités aussi de complexité humaine. Sur les chantiers, il y a différents corps de métiers. Il faut aussi être un·e chef·fe d’orchestre parce qu’il faut organiser tout ça de façon à ce que tous les corps de métiers puissent travailler, chacun dans leur temporalité, sans trop les presser et sans qu’ils se marchent dessus. Parfois, le timing d’un projet est très court. Mais, le·la client·e doit toujours être satisfait·e. Pour que les équipes puissent cohabiter de façon sereine et faire leur travail de la meilleure des manières, c’est beaucoup de psychologie, beaucoup de flexibilité. C’est ce qui rend la chose passionnante aussi.
P. : Quelle est votre vision pour l’avenir de l’agence ?
L.Q. : On n’a pas envie de devenir une énorme boîte d’archi d’intérieur, mais au contraire rester proche de nos équipes, autant que possible, et pouvoir continuer à mener nos projets. On a de chouettes projets qui arrivent, des choses très sympa, que ce soit en hôtellerie, que ce soit en appartement ou en restauration. Il y a des choses très sympa qui se profilent. Et justement, en soutien à cette mouvance vers la durabilité, vers l’écologie, on peut espérer qu’il y a des choses, des lignes qui vont bouger. Et on aimerait revenir aussi vers l’artisanat et vers l’ébénisterie locale. Et tendre vers un cycle plus court. Pour se faire, on doit aussi être accompagné·es par une conscience collective de la part des client·es, puisque les artisan·es français·es aujourd’hui sont très demandeur·ses évidemment de travail. Iels font de très belles choses. On a de très beaux artisans, des très beaux métiers. Il faut peut-être retourner vers une autre temporalité pour aussi se donner un petit peu plus de temps. Les réalisations qui prennent le plus de temps sont souvent les mieux faites, celles qui ne s’usent, qui durent plus dans le temps et que du coup, vous n’allez pas refaire. Donc, c’est un gain d’argent aussi.
Il faut trouver les client·es qui ont envie d’ouvrir des lieux plus pérennes, plus intemporels. J’ai un ami architecte qui parle souvent de décors patrimoniaux. Je trouve que c’est une vision intéressante parce que si on parle de décor patrimonial, ça veut dire que c’est quelque chose qui s’inscrit un peu plus dans l’Histoire. C’est aussi au·à la consommateur·rice d’initier cette démarche, c’est-à-dire d’aller vers quelque chose ou il n’y a pas de place pour la lassitude. Il faut respecter le travail, voir le beau, savoir voir le beau et pas forcément tout le temps être dans ce renouvellement. Et peut-être qu’on y tend. D’ailleurs, on retourne vers la fripe, pour tendre vers le vintage. C’est bien que les choses s’inscrivent peut-être un peu plus dans le temps.
P. : Comment vous complétez-vous pour créer une synergie unique ?
L.Q. : C’est toujours très difficile à dire. On est très souvent ensemble. On pense souvent ensemble; on est très complémentaires. On va dire que selon les projets, il va y avoir une idée qui vient de l’un ou de l’autre. Maxime est super fort dans ses recherches d’images. Moi, Soraya, je ne dessine pas. Donc, j’ai une image qui me vient en tête et je vais lui décrire. Maxime arrive à la mettre en forme et à comprendre ce qu’elle signifie. Il va cadrer le projet. Donc, il y a toujours un discours, un dialogue entre les deux qui fait qu’on suit une ligne directive. Et ça marche plutôt bien. Nous sommes un bon duo. Ce qui nous rapproche aussi c’est le fait d’adorer chiner vintage. C’est l’activité que l’on préfère.
P. : Avez-vous des dream projects ?
L.Q. : Je pense qu’on a très envie de collaborer avec un·e artiste. Avec un·e artiste hip-hop parce qu’il y aurait peut-être de la folie, un certain décalage, une envie de show off dans la décoration. On y va, on montre tout ! Je manifeste donc le projet d’une maison ou d’un appartement, ou d’un lieu, tout simplement, pour un·e artiste hip-hop, R’n’B, électro. Une star comme Beyoncé, par exemple. À Los Angeles ! J’aimerais bien partir aux Etats-Unis, voir un peu de pays, sortir de la France.
P. : Des conseils pour celleux qui voudraient se lancer dans ce domaine ?
L.Q. : Laisser parler pleinement sa créativité et se démarquer des carnets de tendances. Oser être fou·lle ! Après, je vais être un peu vieux jeu, mais j’ai commencé dans une grosse agence. Pour moi, c’est important de s’y former, de voir comment ça fonctionne et de ne pas monter tout de suite son agence. On apprend plein de choses quand on ne grille pas les étapes. Puis, j’ajouterais d’essayer de casser les codes et de ne pas se fondre dans ce qui se fait. Oser se laisser porter par son inspiration et ne pas avoir peur d’aller un peu vers la folie et vers des choses qui dénotent.