Une saison intime et engagée au Palais de Tokyo
Pour la saison automnale, le Palais de Tokyo parie sur des artistes engagé·es, pour la plupart, multidisciplinaires.
Cette saison, et ce jusqu’au 7 janvier 2024, le Palais de Tokyo accueille une importante variété de formes artistiques qui mettent la lumière sur une multiplicité d’identités. À la fois celle(s) qu’on s’invente, celle(s) qu’on construit et celle(s) qu’on revendique. Le musée devient ainsi un théâtre intimiste pour les artistes du monde entier autant que pour les visiteur·ses.
Le Palais de Tokyo, un lieu ouvert à tous·tes
Récemment élargi, l’espace gratuit du Palais de Tokyo, situé à l’entrée du bâtiment, met désormais à la disposition des visiteur·ses un espace de travail, un café ainsi que des canapés disposés ici et là. En plus des expositions gratuites, le Palais de Tokyo devient, avec ces nouveaux aménagements, un véritable lieu de rencontres et d’échanges.
Si les visiteur·ses ont « carte blanche » dans ce nouvel espace, il en est de même pour les artistes. Le duo formé par Jakob Lena Knebl et Ashley Hans Scheirl a investi le souterrain du musée qu’iels considèrent comme « l’inconscient d’un bâtiment […] un espace liminaire, une hétérotopie qui rappelle celles des sous-cultures et [des] contre-cultures ». Avec Doppelganger! qui signifie double en allemand, les deux artistes puisent autant dans les codes de l’art que dans ceux du design, de la littérature et des phénomènes socioculturels tout en adoptant un ton humoristique, presque grotesque. Pour appuyer sur cet amalgame de valeurs, les artistes pensent à partir du préfixe « trans » pour signifier que l’exposition est transmédium, transmatérielle… Iels cherchent à déconstruire l’idée d’identité.
Avec La morsure des termites, le Palais de Tokyo, fait communiquer, entre elles, les oeuvres d’une cinquantaine d’artistes inspiré·es par le graffiti. Le musée fait également dialoguer de façon plus directe les artistes entre eux·elles autour du projet La Friche qui vise à mettre des espaces d’exposition à leur disposition. En créant un lieu d’échanges au sein du musée, ce lieu de culture permet aux artistes de questionner l’institution de l’intérieur.
Une déambulation sous le signe de l’amour et de l’amitié
Avec Hors de la nuit des normes, hors de l’énorme ennui, titre inspiré par une banderole déployée lors de la première manifestation lesbienne de Genève en 1982, concentre le travail d’une vingtaine d’artistes français·ses et internationaux·ales autour de la thématique de l’amour. Dans cette exposition qui concentre des pratiques variées et des visions plurielles, l’amour n’est pas considéré comme un sujet mais comme une méthode, un véritable acte de résistance. Hors de la nuit des normes, hors de l’énorme ennui s’inscrit dans une perspective queer et éco-féministe mais au lieu de strictement délimiter les contours de ces concepts, les artistes sont parvenu·es à figurer leur côté insaisissable et illimité.
Salut, je m’appelle Lili et nous sommes plusieurs de Lili Reynaud-Dewar soulève des interrogations autour de la fonction-artiste, activité à la fois privilégiée et précaire. L’exposition est divisée en deux parties, la première, gratuite, est un film inspiré par le livre Pétrole de Pier Paolo Pasolini qui évoque notamment les méfaits de l’industrie pétrolière et la valeur de la production artistique comparée à l’activisme politique. Gruppo Petrolio se découpe en 19 épisodes au carrefour de la fiction et du documentaire. À deux pas, Salut, je m’appelle Lili et nous sommes plusieurs s’articule comme un journal intime. L’exposition suit une chronologie, des premiers échanges entre l’artiste et le musée, à l’avancée du projet, en passant par des performances de danse au sein même du Palais de Tokyo, aux portraits vidéo d’hommes proches de l’artiste. Ces derniers sont intégrés dans des reconstitutions de chambres d’hôtel dans lesquelles les visiteur·ses sont invité·es à s’installer.
Multiple, l’exposition de Lili Reynaud-Dewar parvient à intégrer dans le champ esthétique, des questions sociales et politiques.
Ici et ailleurs, hier pour demain
Lauréate du Prix SAM 2021 (projet qui apporte son soutien financier et humain à des artistes émergents·es), l’artiste Dalila Dalléas Bouzar est invitée cette saison au Palais de Tokyo pour présenter son Vaisseau infini, une broderie monumentale confectionnée à Tlemcen avec l’aide de brodeuses professionnelles et amatrices algériennes. Avec cette oeuvre, l’artiste expérimente sans limite les couleurs et joue avec les contrastes de la lumière. Elle fait le lien entre un passé lointain et un futur infini. Avec son Vaisseau infini, l’artiste parvient à questionner autant politiquement qu’historiquement les pouvoirs de la représentation picturale.
Après avoir remporté le Prix des amis du Palais de Tokyo en 2022, l’artiste Rakajoo s’entête (Rakajoo signifie têtu en wolof) à aborder la thématique complexe de l’identité nationale avec Ceinture Nwaar : être à la fois Africain et Européen. Hybride, sa pratique d’une peinture augmentée, est au croisement de différents modes d’expression : la peinture côtoie la bande-dessinée, l’acrylique la peinture à l’huile. En variant les médiums et les outils, Rakajoo confirme qu’il est un artiste pluriel, réalisateur, boxeur, il est aussi engagé, notamment contre les violences policières au centre de l’exposition Jusqu’ici Tout Va Bien au Palais de Tokyo dont il a fait partie en 2020.
Pour profiter pleinement de ces expositions, PAUL·E vous rappelle que le Palais de Tokyo propose des nocturnes le jeudi soir pour les plus occupé·es en journée. Nous vous conseillons également la librairie qui accueille une vaste sélection de magazines de mode et de culture dont PAUL·E FW23-24 Bold, notre dernier numéro papier, ainsi que des ouvrages pointus sur l’art contemporain. En tant que partenaire média du Palais de Tokyo, PAUL·E magazine est ravi de soutenir l’art et la culture à portée de tous·tes et pour tous·tes.
Article par Julie Boone