SOPHIE MARIE LARROUY : DE L’AMOUR EN MOUMOUTE ROSE
Photo : Marine Toux, shooting pour Paulette Magazine
Sophie Marie, je l’ai vue pour la première fois sur scène lors d’un spectacle, sur une péniche en face de Notre-Dame, dans un contexte un peu particulier : quatre jours précisément après les attentats du 13 novembre. Elle était touchante de spontanéité. Déroutée, flippée, révoltée, comme nous. Elle s’est assise, a parlé à cœur ouvert et a improvisé. Elle est comme ça, Sophie Marie, naturelle. Je vous rassure, quand on s’est rencontrées, on a parlé de choses plus gaies : de son parcours, de ses bouquins — son roman L’Art de la guerre 2 et son guide des relations amoureuses, Cœurs à gratter –, et de ses convictions. Une femme multitâche (comédienne et auteure, mais aussi journaliste, anima- trice de podcasts, humoriste et YouTubeuse), au franc-parler, au langage fleuri, qui a pléthore de choses à dire.
Tu nous racontes ton parcours ?
J’étais vendeuse chez Intersport, et j’aimais discuter avec les gens, pour apprendre ce qu’ils faisaient, qui ils étaient. C’était drôle, parce que je ne faisais pas bien mon travail : j’oubliais de vendre (Rires) ! J’ai compris sur le tard que je voulais écrire et jouer, vers 24 ans. C’est quand j’ai créé Vaness La Bomba (un personnage haut en couleur qui délivre ses conseils beauté et mode sur les réseaux sociaux, ndlr) que j’ai compris que je voulais faire ça. Finalement, j’ai vraiment eu de la chance : j’ai fait de la comédie à travers ce personnage, je suis allée à l’ESJ à Lille pour apprendre le journalisme, et j’ai été en alternance chez madmoiZelle.com. Le rêve ! Puis j’ai travaillé à Canal, pour un seul en scène. Je me suis rendu compte que j’avais une vie d’enfant jouée par une adulte (Rires). Aujourd’hui, je n’arrête pas de travailler, mais je ne fais que des choses que j’ai envie de faire. Comme quoi, il y a des parcours alternatifs qui peuvent fonctionner, on n’est pas obligé de trouver sa voie à 17 ans.
Tu as l’air proche de ta maman, elle est très présente sur tes réseaux.
Ma mère, c’est elle la star d’Internet ! Je ne reçois jamais autant de messages privés que quand je la mets dans mes stories. Elle me fait rire, elle a envie d’être filmée, mais elle raconte vraiment n’importe quoi parfois. C’est la preuve que si elle s’était laissée faire, elle aurait eu une vie un peu plus artistique. Dans Merci Maman (la vidéo de Maud Bettina-Marie, réalisée par Keyvan Khojandi, dans laquelle une jeune femme se rend compte de tous les sacrifices que sa maman a fait pour elle, ndlr), je lui rends hommage. Cette vidéo est incroyable : Maud a une manière d’écrire qui est très simple, elle va droit au but, sans fioriture. Pour l’anecdote, j’ai lu le script, j’ai chialé, je suis allée sur le tournage, j’ai chialé — rien que d’en parler, j’ai des frissons. J’étais touchée, car ça fait vraiment écho à ce que je pense de la relation mère-fille : on est tout le temps à se dire qu’elle nous ennuie, qu’un appel avec elle dure trois heures, mais au fond, c’est trop mignon. J’adore ma mère, mais au début, on ne se calculait pas. Je lui ai fait la misère quand j’étais ado, car elle ne comprenait pas qui j’étais. On est devenues amies plus tard.
Tu nous parles de tes deux derniers livres ?
Le roman, L’Art de la guerre 2, c’est l’histoire d’une fille qui n’arrive pas à gérer ses relations amoureuses ; dans Cœurs à gratter, c’est cette fille qui réfléchit à tout ça et qui en tire des conclusions. Cœurs à gratter, c’est finalement le spin-off de L’Art de la guerre 2 ! J’y parle d’amour et de sexe, car aussi fort que j’aime ma mère, elle ne m’a pas trop expliqué tout ça. Ce sont des thèmes qui m’intéressent, car j’ai dû apprendre seule, faire des erreurs, pour ensuite développer un esprit d’analyse grâce à l’expérience. Du coup, je me suis dit que je pouvais filer un coup de main à celles et ceux qui galéraient ! Je sais que quand tu es en PLS dans ton canapé parce que tu t’es fait larguer, c’est vraiment chaud. Je ne fais pas croire que tout va bien et que tout s’est toujours bien passé sous prétexte que j’ai une communauté. Si je suis sincère dans ma démarche, les gens déculpabilisent leur état. J’ai d’ailleurs fait un court métrage pour illustrer le chapitre 6 de mon roman (disponible sur sa chaîne YouTube, ndlr), où je parle d’un plan cul nul. Il faut que tout le monde sache : parfois, ça va être pourri, mais c’est comme ça, ça arrive.
Tu as le don de désacraliser les choses qui semblent importantes, et qui ne le sont finalement pas.
J’espère ! Par exemple, à une période, quand je regardais mes photos, je me trouvais mieux avant. Mais au bout d’un moment, je me suis dit : « Non, ça suffit, c’est pas gentil. Tu passes ton temps à dire qu’il faut être gentil avec les autres, qu’il faut prendre du recul, donc ma cocotte, commence par toi-même » (Rires). Du coup, tout est allé mieux quand je me suis dit : « C’est ton enveloppe, fais avec, et apprends à te trouver super ». J’ai désacralisé la situation. En tant que comédienne, je fais beaucoup de castings. C’est assez éprouvant d’entendre : « Non, ça ne va pas, on veut vraiment une fille jolie. » Il faut se dire : « En fait, je suis jolie pour moi, pour mon gars, pour mes potes, et c’est ça, le principal. » On ne peut pas être universelle. Regarde, Emily Ratajkowski qui est vraiment magnifique, je suis sûre qu’elle a les mêmes problèmes que nous. Du coup, est-ce qu’on ne s’en fout pas un peu de ne pas être universelle ? Si.
Photo : Marine Toux, shooting pour Paulette Magazine
Tu as une belle bande de nanas autour de toi : Navie, Aude Pépin, etc. On peut parler de vraie solidarité féminine ?
De ouf ! Parfois, on peut ne pas s’entendre, car on n’a pas forcément toutes des affinités. Mais au fond, c’est très simple : si tu es gentille, les gens seront gentils avec toi. En tout cas, oui, il y a une vraie solidarité dans mon crew. Des meufs qui sont toutes « chanmé », qui essayent, qui se trompent, et qui recommencent. Et quand tu rencontres des filles qui ressentent encore cette espèce de rivalité à l’ancienne, il suffit de désamorcer la bombe. Et au final, elles sont très contentes, elles se rendent vite compte que cette concurrence ne sert à rien. C’est juste une question de temps, on ne va pas tous à la même vitesse.
En parlant de femmes, on ne peut pas ne pas aborder ton double maléfique, Vaness La Bomba…
Vaness, on l’a créée avec un autre membre de ma sororité, Linda Felinger, qui est vraiment l’une de mes meilleures copines. Elle a toujours un an d’avance sur tout le monde. Donc parfois, on ne se comprend pas sur le coup, puis l’année d’après, on se dit : « Ah, mais oui, d’accord ! C’est ça qu’elle voulait faire ! » C’est trop marrant. On a créé ce personnage ensemble, en se rappelant le passé, notre adolescence : des trucs les plus futiles — à savoir les pinces papillon qu’on se mettait sur la tête — à notre manière de gérer notre scolarité. Quand on était un peu rebelle et qu’on s’en foutait. On a créé Vaness à partir de ce constat, mais aussi au moment de l’apparition des blogs. J’étais fan ! On a voulu prendre ce phénomène à contre-courant en se disant que ce serait drôle de voir une fausse blogueuse trop maquillée en tailleur blanc et mules plexi. Pourquoi serait-elle moins intéressante à montrer qu’une autre ? Elle l’est peut-être même plus, car moins lisse. Vaness, c’est une représentante des meufs qui ne sont pas du sérail, mais qui ont tout autant le droit d’exister. C’est très marrant, car ça fait longtemps que Vaness n’a pas pop-upé à l’intérieur de moi. Du coup, là, je la laisse faire, c’est bizarre. Mais attention, je ne suis pas bipolaire, je me suis renseignée (Rires) !
Vaness, c’est une nana « qui s’assume » ?
Qu’est-ce que ça signifie, s’assumer ? S’assumer, c’est admettre qu’on est différente de la norme, qu’on n’est pas juste une représentation comme une autre. Ça veut dire que je dois avoir honte de quelque chose ? Tout le monde a sa place, même les « cagoles » comme Vaness. Kim Kardashian, qui est quand même la reine des cagoles, est une des femmes les plus riches du monde, c’est une business woman et elle tient le choc. Vaness, c’est un peu ça : non, elle ne s’assume pas, elle existe. Quand tu vois des photos de mannequins grande taille, comme Ashley Graham, tu te dis juste qu’elles sont ultra-stylées, pas qu’elles s’assument. De manière générale, j’aimerais vraiment qu’il y ait une plus large palette de représentations. Il faut arrêter avec ce canon de beauté où tu dois faire dix kilos de moins pour être bien. Moi, si je pesais dix kilos de moins, je serais malade ! Et souvent, les personnes qui se permettent de faire des remarques sont celles à qui on n’a rien demandé. Il faut donner ton avis uniquement si on te le demande, un peu comme le consentement ou le sexe. D’ailleurs, en tant que femme — attention, je sors une théorie —, il semblerait que dès que l’on occupe l’espace public, on appartienne à l’espace public. Donc les gens se donnent le droit de te juger. C’est aussi que, en tant que femmes, on ne nous a pas appris à donner notre avis, et qu’on a souvent peur de le donner. Il faut qu’on déculpabilise avec ça : plus tu oses, plus tu dis de conneries, et plus tu finis par en dire moins.
Chez toi, le fond est plus sérieux que la forme : tu parles de choses sérieuses, sans te prendre au sérieux.
J’ai essayé de me prendre au sérieux, mais je ne suis pas du tout crédible. Quand j’ai rencontré mon mec, il m’a déculpabilisée là-dessus. J’avais le réflexe d’être toujours bien épilée, bien habillée. Aujourd’hui, j’essaye d’être bien, mais pas forcément dans les règles de l’art. C’est pareil dans mon travail, je fais les choses sérieusement, mais pas dans les règles de l’art. On tient une belle punchline, là (Rires) !
Tu penses que tu as des responsabilités envers ta communauté ?
Oui ! Je me suis mise toute seule dans la farine, tu m’étonnes que je me fasse paner ! Mais ce sont des responsabilités dont je suis très heureuse, c’est ça qui me manquait avant d’avoir une voix publique : ne pas savoir quoi faire de ce que je ressentais. Et j’aime bien me mettre en danger. Là, on vient de faire la séance photo pour l’article, et j’ai dit : « Allez, je me mets en body », à moitié à poil, alors qu’on ne se connaît pas. J’aime bien voir plus loin et ne pas rester dans ma zone de confort. C’est ce que je dis dans mon livre : « N’oubliez pas de danser », même si vous ne savez pas, même si vous avez peur. C’est juste pour ressentir votre corps. Je conseille de danser sur Scooter, Move your ass : bougez dans tous les sens, vous vous sentirez comme après un orgasme (Rires) !
On te définit souvent comme comédienne et auteure, mais tu es bien plus que ça. Pourquoi le choix de cette diversité ?
Je trouvais ça pas mal comme définition, mais tu me fais douter. À un moment, j’avais l’impression de me disperser, mais en fait, c’était pour mieux me rassembler. J’ai compris que tout ce que j’avais fait jusqu’ici, c’était pour avoir une communauté, une voix et une assurance pour faire d’autres courts métrages. Je sais où je vais maintenant. Faites-moi confiance, je ne fais pas n’importe quoi. Si vous me donnez les clés de la boutique, je ne vais pas aller y préparer un projet X !
@sophiemarielarrouy ; sophiemarielarrouy.fr
Cœurs à gratter, Sophie Marie Larrouy, Éd. Payot, 15 €.
Sopie Marie sortira, en novembre normalement, trois courts métrages issus des chapitres de son livre (qui sortira en poche au même moment) ! Elle me dit aussi de vous préciser qu’elle prépare une énorme surprise… Stay tuned !
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> Article de Juliette Minel