Rétrospective des années 80 au Musée des Arts Décoratifs, nostalgie et décadence
En haut des escaliers qui mènent à la nef, des lettres surdimensionnées donnent le ton : ici, l'extravagance des années 80 en mode, design et graphisme, est mise à l’honneur d’octobre 2022 à avril 2023.
Décennie de la décadence pour certain.e, tournant politique, artistique et social pour d’autres, la rétrospective retrace toutes les facettes de cette époque frénétique, sans cacher sa nostalgie.
Une décennie de révolutions et d'effervescence
Bien qu’un poil trop jeune pour avoir connu les années 80, comme toustes, j’ai tout de même été témoin de leur impact et de leur influence, même 40 ans plus tard. Des cheveux imposants, des motifs et couleurs vibrants et des mélodies entêtantes, voilà comment mon imaginaire schématise cette folle décennie. Mais au-delà de leur esthétique unique, les années 80 signent surtout un tournant politique, artistique et social et représentent une époque pleine de mutations, de multiplicité et de liberté.
Ce “kaléidoscope post-moderne” a en effet été marqué par de nombreux bouleversements : on y disait presque tout et on y montrait tout, de manière criarde et sans retenue. C’était le temps de la provocation et de la révolte, du détournement des codes et des références classiques et d’un éclectisme rafraîchissant. C’était aussi une période durant laquelle la culture et la liberté d’expression étaient soutenues par une flopée d’initiatives qui ont favorisé l’ouverture de lieux culturels ou encore de discothèques devenus cultes.
D’ailleurs, la politique est loin d’avoir été étrangère à tous ces changements. En France, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, la gauche entre au pouvoir avec l’élection de François Mitterrand en 1981, auquel l’exposition consacre une grande partie. Un peu partout dans la nef, les exploits de l’homme politique sont distillés. Pendant ses mandats, Mitterrand aurait permis l’abolition de la peine de mort, l’augmentation du SMIC, et aurait aussi impulsé de grands travaux d’urbanisme pour “moderniser” Paris. La décennie voit en effet naître le Parc de la Villette ou encore la Cité des sciences et de l’industrie dans la capitale. Des travaux salués, bien que les 55 hectares du parc aient tout de même grandement participé à la gentrification du 19ème arrondissement de Paris.
Des vestiaires et des intérieurs éclectiques
Dans les nombreuses pièces consacrées aux années 80, deux thématiques reviennent souvent : la mode et le design. On y apprend notamment qu’en France, ces deux activités créatives ont été encouragées par des initiatives du gouvernement, ce qui a permis un essor et une multiplicité des styles dans les dressings comme dans les intérieurs.
Côté mode, les personnes qui n’étaient pas nées à l’époque ne le savent peut-être pas, mais le début des années 1980 a été caractérisé par un rejet en bloc de l’esthétique hippie et délurée des années 70. Loin de l’image qu’on se fait de la décennie, l’approche était alors pratique et minimaliste, avec des tons très sages allant du brun au beige. Puis la retenue a cédé sa place à des coupes et des teintes plus théâtrales. Dans les dédales de la nef, les mannequins prennent tantôt la pose dans des vêtements criards inspirés de l’aérobic ou des t-shirts de groupes punk, tantôt dans des robes et pantalons amples en polyester resserrés à la taille par de larges ceintures.
La période étant propice à la diversité, les silhouettes oscillaient entre des allures néo-classiques aux épaules boursouflées, des motifs régressifs jetés de façon désordonnée sur des bombers bouffants, des crop-tops aux couleurs primaires ou encore des blazers XXL surmontés d’accessoires tape-à-l’oeil. Les femmes qui accédaient à des postes plus élevés durant cette période adoptaient une apparence plus “masculine” et portaient, par exemple, des costumes coordonnés à col “Mao” qui leur donnaient un sentiment de pouvoir. C’était aussi l’occasion d’inviter une nouvelle vision de la féminité qui se jouait de ses attributs, avec des silhouettes cintrées et de la lingerie détournée en vêtement du quotidien. C’est à cette période clé que la Haute couture est devenue légitime dans le patrimoine français et que le savoir-faire de créateur·ices comme Thierry Mugler, Yves Saint-Laurent, ou encore Jean-Paul Gaultier a commencé à être visibilisé, jusque dans les musées.
Côté design, les styles cohabitent aussi et imitent l’éclectisme de la mode. Dans un même espace, les fauteuils classiques de Philippe Starck côtoient les bibliothèques colorées d’Ettore Sottsass ou les lampes futuristes de Mario Botta.
L’âge d’or de la musique, de la pub et du graphisme
Si les années 80 furent marquées par des rythmes enjoués, des paroles entêtantes et par la popularisation de styles comme la musique électronique, l’Italo-disco et ou la new wave, seule une petite partie de l’exposition est consacrée aux tubes de ces années. Dans l’espace dédié au monde de la nuit, les clips défilent sur un grand écran devant lequel une petite foule réjouie fredonne les paroles des chansons de Dalida, de Lio, de Niagara ou encore de Queen. À travers une collection d’affiches et de photos en noir et blanc, on y découvre l’essor des clubs parisiens désormais devenus cultes comme Le Palace ou les Bains Douches, à l’époque hauts lieux de contre-cultures.
L’entrée de Mitterrand au gouvernement a coïncidé avec l’entrée du marketing en politique. Les années 80 signent donc naturellement la relance de la presse écrite, les journaux revoient leurs formules et se déclinent sous des formats plus compacts, et deviennent des marques à eux-seuls, avec des identités propres, comme avec Libération et ses Unes impactantes placardées aux murs de l’exposition.
C’est aussi la fin du monopole et de la tutelle de l’État sur la radio et la télévision : les radios pirates sont autorisées à émettre, la publicité et la communication visuelles connaissent leur âge d’or. C’est l’ère de la publicité-spectacle.
Fan des années 80
Encore aujourd’hui, les concerts nostalgiques des stars des années 80 font salles combles. Assez lointaine pour en être nostalgique et encore assez proche pour en ressentir tout l’impact culturel, cette décennie marque encore les esprits et traîne son influence jusque dans les séries actuelles, comme dans « Stranger Things ». Mais pourquoi, au juste ?
L’être humain est fondamentalement nostalgique. Se souvenir des temps passés ou partager des expériences communes peut non seulement nous rapprocher, mais aussi nous offrir un certain réconfort. Outre cela, les années 80 représentent une insouciance, une liberté et une explosion de créativité que les personnes qui les ont connues regrettent, et que celles qui en ont entendu parler rêvent de voir renaître.
À découvrir au Musée des Arts Décoratifs, du du 13 octobre 2022 au 16 avril 2023
Article d’Audrey Couppé de Kermadec