RENCONTRE AVEC PRETTY LOUD, LE GIRL BAND SERBE QUI LUTTE POUR LES DROITS DES FEMMES
Avez-vous entendu parler de Pretty Loud ? Ce sont six femmes roms et serbes qui ont décidé de dire non à la discrimination, non aux mariages forcés, non aux préjugés. Elles chantent et dansent depuis la Serbie et nous avons eu la chance de discuter avec deux d'entre elles. Interview.
Bonjour les filles, on est ravies de pouvoir discuter avec vous !
Paulette : Vous êtes un girl band créé en Serbie, ce qui n’est déjà pas très commun. Comment vous êtes-vous rencontrées ?
C’est un projet qui est né grâce à GRUBB. On faisait toutes partie de cette fondation et nous avons commencé à danser et à chanter là-bas. Après plusieurs années, ils nous ont demandé si nous voulions créer un girl band. À ce moment-là, il n’y avait que des boys band. On était super heureuses, alors on a accepté. Aujourd’hui, nous savons exactement ce que nous voulons dire et défendre.
Qu’est-ce que c’est, Grubb ?
C’est un organisme britannique qui aide les enfants roms dans leur éducation en leur proposant des programmes éducatifs et artistiques en Serbie. Ils nous aident dans nos devoirs, nos examens. Ils m’ont aidée en tant qu’étudiante et puis après quelques années, j’y suis devenue professeure de danse. J’ai beaucoup évolué et appris là-bas, alors maintenant, je diffuse le savoir que j’ai acquis au fil des années aux enfants qui y sont.
Qu’est-ce qui vous a fait débuter dans la musique ?
Sylvia : J’adore la musique depuis l’enfance, j’adore la danse du ventre. À Grubb, lorsque je dansais, c’était tellement spontané. J’ai d’abord commencé Pretty Loud comme un hobby, je chantais pour m’amuser. Maintenant, c’est devenu l’amour de ma vie.
Zlata : J’étais aussi chez Grubb plus jeune et je dansais. Suite à cela, je suis également devenue professeure de danse. Je suis une maman célibataire et à travers Pretty Loud, je souhaite soutenir les femmes dans la même situation. Oui j’ai un enfant que j’élève seule, mais pour autant, je n’ai pas arrêté de poursuivre mes rêves.
Vous avez toutes des âges très différents au sein de Pretty Loud. C’était important pour vous de représenter des jeunes filles et des femmes d’âges variés ?
En tout, nous sommes six et nous avons entre 14 ans et 27 ans. L’âge importe peu chez Pretty Loud, on peut intégrer Grubb dès l’école primaire. Ce n’est pas important l’âge que l’on a. Ce qui compte, c’est le message que l’on souhaite véhiculer aux autres. Certaines d’entre nous sont en effet très jeunes, mais elles sont discriminées et souhaitent que cela change ! Elles veulent faire quelque chose de leur vie et apporter du soutien aux autres jeunes filles.
Dans vos chansons et sur vos posts Instagram, vous parlez du fait de vouloir déconstruire les préjugés sur la communauté rom. Avez-vous été discriminées ou harcelées en tant que personnes roms ?
Sylvia : Moi je ne l’ai jamais vraiment vécu parce que je n’y prête pas attention. Ce qui me motive dans ma lutte, c’est que je sais que des jeunes enfants sont discriminés à l’école, presque tous les jours.
Zlata : Je connais énormément de personnes qui en vivent tous les jours. Nous sommes là pour nous battre pour eux.
Sur plusieurs photos de Pretty Loud, on peut lire « Basta », « Assez », « Enough ». Vous vous battez pour que les mariages traditionnels soient reconnus comme des mariages forcés. Avez-vous été touchées personnellement par ces mariages ?
Zlata : Nous n’avons pas été mariées de force. Mais nous connaissons une jeune fille qui a été forcée. Nous prenons exemple sur son histoire et chantons pour toutes ces jeunes filles.
Comment va-t-elle aujourd’hui ?
Zlata : Je ne sais pas du tout.
Sylvia : Je suis sûre qu’elle a des enfants et un mari !
Qu’est-ce qui se passe en Serbie quand on se bat contre les mariages forcés ?
En fait, il faut savoir que dans notre communauté, nos parents et nos voisins sont contre les mariages forcés. Ils ne veulent pas que les jeunes filles soient mariées aussi tôt. Mais parfois, les filles décident de se marier par elles-mêmes. Nous avons tellement de traditions et de coutumes que cela nous pousse au mariage. Une de ces coutumes est de rester vierge jusqu’au mariage, et parfois certaines jeunes filles n’ont pas envie d’attendre. D’autres coutumes imposent un échange d’argent entre les familles lorsque leurs filles se marient. Chez nous, nous sommes contre ce genre de mariages forcés.
La langue de la communauté rom possède 8 dialectes. Chaque dialecte répond à des anciennes coutumes. Par exemple, la communauté rom au Kosovo a ses propres traditions, ici (ndlr : Pretty Loud réside à Belgrade) nous avons les nôtres. Tous les Roms ne sont pas les mêmes ! Certains sont plus conservateurs, d’autres sont plus modernes, comme partout. Lorsque quelqu’un voit un Rom agir d’une manière, il pense que nous sommes tous comme cette personne, mais c’est évidemment faux !
Pourquoi, selon vous, certaines familles souhaitent que leurs filles se marient aussi jeune ?
Je ne suis pas dans leurs têtes mais selon mon opinion, c’est souvent pour leur proposer une alternative de vie plus confortable. Beaucoup de Roms sont pauvres et parfois, certains parents ont tellement d’enfants qu’ils pensent que le mariage est la meilleure option pour leurs filles.
Comment réagissent les mères face à ces mariages forcés, qu’elles ont elles-mêmes dû subir. Sont-elles d’accord ?
Sylvia : Elles ne le sont pas, mais elles n’ont pas le droit de les empêcher. Elles n’ont pas de pouvoir ou de droit sur ces mariages. Elles n’encouragent pas leurs filles à quitter la maison non plus, sinon, elles auraient de gros problèmes avec leur mari.
Zlata : Certaines familles encouragent leurs filles à quitter le pays et à aller se marier autre part qu’en Serbie. Quand elles finissent l’école, on leur conseil d’aller autre part en Europe pour avoir un meilleur salaire qu’en Serbie, réputé pour être un pays pauvre. Pour prendre exemple sur mon histoire, j’ai choisi de me marier jeune. J’ai fait des erreurs et mes parents n’étaient pas d’accord, mais je suis heureuse parce que j’ai pris mes propres décisions.
Dans votre chanson Mashup 2020, vous chantez « Join us in the pain ». Qu’est-ce que vous voulez dire ? Vous souhaitez créer une armée contre l’oppression ?
Sylvia : Dans ce rap, nous parlons de discriminations. Ce slogan, c’est une manière de dire : mets-toi dans ma peau et vis ce que je vis pour me comprendre. Rejoins-nous dans notre douleur afin de mieux comprendre notre message ! Viens dans mes chaussures, mets-toi dans ma peau, si tu penses que l’on ne souffre pas vraiment. Dans ce rap, je dis « je ne veux pas me battre, mais tu peux me rejoindre dans ma peine ». Nous pourrions nous battre, mais nous n’en avons pas l’envie, c’est une invitation à la compassion.
Dans ce rap, vous dites aussi « Je suis malchanceuse d’être Rom ». Pourquoi pensez-vous que faire partie de la communauté rom vous rend malchanceuse ?
Sylvia : J’ai oublié où l’on disait ça (rires).
Zlata : Quand on veut travailler, entrer dans des écoles, ou simplement aller dans des cafés avec des amis, on est discriminés ! On nous regarde comme si on était sales. Les gens se basent sur des préjugés et mettent toutes les personnes dans le même panier. Nous sommes malchanceuses parce que certains souffrent juste parce qu’ils sont noirs ou ont une couleur de peau différente. Aujourd’hui, ça change. Mais pas assez.
Recevez-vous du soutien pour Pretty Loud de la part d’autres membres de la communauté rom et de la part de personnes n’en faisant pas partie ?
Oui, on reçoit beaucoup de messages et d’amour. Et quand on performe, beaucoup de gens ne faisant pas partie de la communauté rom viennent nous voir et nous disent que l’on fait du bon travail, que nous devons continuer ! Nous sommes des femmes roms et nous nous battons pour nos droits mais aussi pour les droits de toutes les femmes ! C’est important de le dire, nous ne pensons pas qu’à nous mais bien à toutes les femmes.
Comment ont réagi vos familles lorsqu’elles ont entendu vos musiques ?
Sylvia : Mes parents, mes grands-parents, tous sont des super soutiens et c’est ce qui m’aide à faire tout ce que l’on fait. Ça m’aide à me battre pour les femmes, à faire ce qui me rend heureuse.
Zlata : Au début, ma grand-mère n’était pas si contente. Elle ne trouvait pas ça très safe comme travail en tant que jeune maman célibataire. Je me suis battue pour continuer à faire ce que je fais et elle me soutient maintenant. C’est compliqué pour les anciennes générations de comprendre ce que l’on fait puisqu’elles n’ont jamais eu l’opportunité de se battre pour leurs droits. Aujourd’hui, je le fais aussi pour elles et pour les futures générations.
Pourquoi pardonner est important, selon vous ? Vous en parlez souvent dans vos textes.
Sylvia : Je pense que si tu pardonnes, tu deviens une meilleure personne. Si je fais une erreur, j’aimerais que l’on me pardonne. Si tu gardes ta haine à l’intérieur de toi, si tu ne laisses rien sortir, ça ne t’apportera rien de bon.
Vous pensez que l’amour peut-être la réponse à tout ?
Sylvia : Honnêtement, je pense que non (rires). Parfois, quand on a trop d’attentes et que l’on ne reçoit pas ce que l’on attendait, on est déçu. Donc bien sûr, il doit toujours y avoir de l’amour mais ce n’est pas uniquement la chose qui peut rendre le monde meilleur. Il y a d’autres points qui entrent en compte.
Selon vous, comment déconstruit-on les préjugés envers la communauté rom et les femmes ?
Zlata : Avec Pretty Loud, on se bat pour des causes et des valeurs avec la musique, la danse, le rap. Et je pense que c’est une des meilleures manières de renvoyer des messages. On montre aussi comment sont réellement les Roms et ça permet de réduire les clichés à notre propos. En faisant notre musique, on montre que les personnes roms travaillent, vont à l’école… Nous essayons de faire comprendre aux gens que nous sommes de bonnes personnes et que notre comportement ne répond pas à une généralité et à un cliché sur l’ensemble de la communauté rom.
Sylvia : Dans ce monde, il y a tellement de gens méchants qui jugent par la couverture du livre. Mais à la fin, on est tous faits de la même manière, on est juste du sang et des os (rires). Les gens doivent apprendre à se connaitre avant de juger et c’est ce que permet Pretty Loud. C’est aussi pour ça que l’on performe et que l’on se montre. On permet des rencontres au-delà de notre communauté. Ainsi, les gens peuvent juger par leurs propres yeux et non par des idées pré-conçues. Trop d’enfants roms sont stéréotypés et rejetés à l’école, juste à cause de leurs origines.
Dans la chanson Dosta Sine, vous dites stop à la ségrégation dans les écoles. Comment se passe-t-elle au quotidien ? Pourquoi les enfants roms sont-ils rejetés ?
Sylvia : Les enfants roms parlent très mal le serbe puisque leur langue maternelle est le rom. Certains professeurs les ignorent et les boycottent en leur donnant des mauvaises notes. Ils ne s’occupent pas d’eux s’ils savent qu’ils sont Roms. Souvent, les enfants roms se retrouvent avec des difficultés.
Quel est votre plus grand rêve, au sein de Pretty Loud ?
Sylvia : J’aimerais voyager dans le monde entier, changer quelque chose pour l’indépendance des femmes, créer encore plus de musiques et être connue dans le monde entier !
Zlata : J’aimerais que l’on soit le plus célèbre possible, connues de tout le monde, afin de pouvoir partager nos messages avec le plus de personnes possibles. J’aimerais changer l’état d’esprit des femmes. On ne se bat pas contre les hommes, on se bat avec eux pour que les femmes ne dépendent plus que d’elles-mêmes. Je veux que les femmes puissent prendre leurs décisions par elles-mêmes !
Merci à Sylvia et Zlata de Pretty Loud d’avoir pris le temps de s’entretenir avec la team Paulette, en direct de Serbie !
Pretty Loud est à retrouver ici, ici et ici.