PIERRICK MOUTON : ITINÉRANCES SPIRITUELLES

Des sikhs de Bobigny à la divinité Oro au Bénin en passant par sœur Germaine dans son couvent versaillais, Pierrick Mouton explore la pensée magique par une approche documentaire et immersive auprès de différents groupes de croyances et de communautés. Un voyage méditatif et introspectif surprenant.

« Je m’intéresse beaucoup à la cosmogonie et aux récits des origines. J’essaye de réactiver certains mythes en les confrontant à un langage et à une méthode contemporaine », confie- t-il. En résulte un ensemble narratif hétéroclite composé d’interviews, de dialogues, d’objets et de dessins qui, intégré à un espace d’exposition, prend des formes diverses et variées : films, créations sonores, livres et autres supports. À travers ces différents médiums, l’artiste et vidéaste dévoile un regard singulier sur les thèmes du sacré et de la religion. Au cours de ses pérégrinations, Pierrick Mouton est ainsi allé à la rencontre des sâdhus en Inde, de sorciers au Bénin ou de sœurs aux abords de Paris. « Je garde une certaine distance face aux différentes célébrations auxquelles j’ai pu assister ces dernières années. Ma démarche tente en effet d’isoler leurs gestes pour mieux en saisir la symbolique profonde, universelle, ou millénaire. » 

Pierrick Mouton

Rendre visible l’invisible

En questionnant les pratiques religieuses, le travail de Pierrick dévoile un autre regard sur des actions qui paraissaient jusque-là insignifiantes. Un processus créatif qui se révèle très spirituel, à l’image de son compte Tumblr baptisé poétiquement Les îles ont un silence qui s’entend. Comment réussir à retranscrire le silence dans une photo, ou plus largement, comment matérialiser ce qui est de l’ordre du non visible ? Par ce procédé, l’artiste interroge les rapports entre cinéma et invisible et en explore les limites. Quand on suit le quotidien de personnes qui se concentrent principalement sur la contemplation du vide, vers une autorité ou un impératif invisible, on se retrouve face à une difficulté inhérente à les représenter. 

Dans son court-métrage Le Tempestaire datant de 1947, Jean Epstein s’est confronté à cette difficulté. « Pour filmer la présence invisible du vent, il filme un arbre qui se plie sous les bourrasques du temps. Ce sont donc les conséquences d’une présence ineffable (le vent) qui apparaissent à l’écran. J’ai suivi la même démarche lorsque j’ai filmé des visages ou des gestes de fidèles. C’est une manière pour moi de représenter par le visible (le rite du fidèle), ce qui est de l’ordre du non visible, à savoir la croyance de ces communautés en un Dieu omnipotent, omniscient. » En 2016, Pierrick est ainsi parti au Bénin pour tenter d’incarner la présence d’Oro, un culte vaudou ancestral toujours actif dans le sud du pays : « Oro est une divinité de la nature, une divinité du vent, une divinité invisible. Dans le pays Yoruba, c’est la plus influente, la plus terrible, et la plus puissante. Il est interdit de filmer ces rites sous peine de mort ou d’amnésie soudaine. À travers le témoignage d’initiés rencontrés sur place, le film entend rendre visible cette divinité cachée. » Ou comment s’emparer de l’impalpable en contournant les contraintes… 

Pouvoirs extralucides 

Les contraintes, Pierrick Monton s’en affranchit en les faisant siennes. Il cite Alexandro Jodorowsky et ses théories psycho-magiciennes. « Des solutions miraculeuses lui ont parfois permis de tourner certaines scènes de manière inattendue. Chacun de ces événements donne une impulsion à ses films. Cette manière d’appréhender le réel permet d’être attentif au caractère magique ou imprévisible des situations. » Un postulat qui occupe une place importante dans son travail. En 2009, il a tourné un documentaire dans un couvent de religieuses, les Diaconesses de Reuilly à Versailles. C’est là qu’il a rencontré une des sœurs de la communauté, sœur Germaine. En commençant ce travail au sein d’un univers fermé, il a tout de suite pressenti les limites que lui imposait la communauté. Certains lieux lui étaient inaccessibles. N’ayant qu’une vision parcellaire de leur vie, lui est venue l’idée d’apprendre à sœur Germaine à se servir d’une caméra pour qu’elle participe à la documentation de son quotidien. Petit à petit, le film s’est mué en un journal intime. « Sœur Germaine a développé un intérêt grandissant pour la caméra, en se confrontant par la même occasion, à son image et à sa condition de religieuse. Les images qu’elle a pu tourner sont à la fois très personnelles et d’une très grande qualité plastique. Elle joue ou plaisante. Parfois, elle laisse simplement tourner la caméra en attendant que quelque chose se produise, une épiphanie. » L’exposition Correspondances (2015) à la Nunnery Gallery de Londres, présentait cette collaboration à travers un corpus de films, un livre, des échanges de lettres, des photographies et des e-mails. 

Pierrick Mouton

Dans un autre registre, Pierrick, qui a voyagé en Inde à plusieurs reprises, s’est confronté en 2018 aux sikhs vivant à Paris et ses alentours, pour appréhender leurs modes de vie dans un pays comme la France, si attaché à la laïcité. Une expérience qui l’a profondément touché. « J’ai été séduit par leur philosophie et leur sens de l’hospitalité. Les sikhs mettent l’accent sur la méditation, la prière, la musique et l’accueil du prochain. Ils sont rigoureusement végétariens, ne boivent pas d’alcool, ne fument pas, portent un turban, ne se coupent pas les cheveux, se lèvent à l’aube et prient deux fois par jour. Profondément égalitaires, ils rejettent le statut inférieur de la femme tel qu’il existe dans d’autres religions monothéistes, et contredisent les systèmes de castes de l’hindouisme. Enfin, ils ont une forme de tolérance à l’égard des autres croyances. Le Guru Granth Sahib, le livre saint des sikhs, intègre des passages de la Bible, du Coran, du Talmud, et des Upanishad. » 

Pour celles et ceux qui croient au diable, Pierrick vient de terminer une création sonore pour France Culture sur l’exorcisme, Montre-moi ce que je veux voir pour que je puisse te l’enlever (2019). Pendant plusieurs mois, il a suivi des prêtres exorcistes pour comprendre les signes d’une possession démoniaque et le déroulement d’une séance d’exorcisme. Rien que de l’évoquer, ça fait froid dans le dos ! 

Article de Pauline Weber

Article du numéro 43 « Spirituel »

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