Lucky Love, « Faire de la musique, c’est comme faire l’amour »
Un grand sourire à couper le souffle. Les dents du bonheur, égal à celui de le rencontrer pour la première fois. Lucky Love fut comme une apparition.
Nonobstant un léger retard — somme toute très élégant, afin que je puisse installer mon trépied avec minutie — Luc Bruyère à la ville, Lucky Love à la scène, a rapidement fait amende honorable par la chaleur de son embrassade, la générosité de ces propos et la profondeur de son introspection, lové dans un lourd sofa de cuir noir se fondant parfaitement à l’ébène de sa veste vraisemblablement vintage et pleine de caractère. À l’image de son propriétaire, quoi. Sa boucle d’oreille fétiche en forme de coeur oubliée à la maison, le jeune chanteur à la carrière artistique déjà bien riche n’a pu compter que sur son charme inné pour nous parler de lui, de son parcours, de sa passion pour la poésie, des rencontres qui ont changé sa vie, et surtout d’amour, en toute tendresse.
PAUL·E : « Pour celleux qui ne te connaîtraient pas déjà, pourrais-tu te présenter ? »
LUCKY LOVE : « Bonjour PAUL·E Magazine ! Je m’appelle Lucky Love, je suis chanteur et j’ai sorti mon premier EP « Tendresse ». »
P. : Lucky Love est-il chanceux en amour ? Pourquoi ce nom de scène ?
L.L. : (Rires) T’as visé juste. Je suis, en effet, assez chanceux en amour. Enfin, je dirais que, dans ma malchance, je suis hyper chanceux. L’amour m’a appris beaucoup de choses. J’ai grandi grâce à lui. C’est pour ça que je pense que je suis chanceux de l’avoir connu.
P. : Dans ton EP sorti aujourd’hui, le 7 avril, tu parles beaucoup d’amour. Était-ce une envie de sublimer des expériences passées ?
L.L. : C’est assez juste, oui. Pour moi, dans cet EP, c’était important justement de revenir à tout ce que j’avais vécu pour pouvoir le sublimer. Ce que j’aime dans la musique, c’est que ça sublime une expérience, un vécu ou un sentiment. Du coup, je voulais sublimer mon passé pour pouvoir refermer le bouquin.
« J’ai autant écouté de la musique classique, de la pop music ou du rap. Ce qui rallie pour moi tous ces styles musicaux, c’est surtout la poésie. », Lucky Love
P. : Comment décris-tu ton style musical et quel·les artistes ont influencé ce projet artistique ?
L.L. : Mon univers musical vient de pleins d’univers différents parce que j’ai été danseur avant, et que j’ai d’abord appréhendé la musique par la danse. J’ai autant écouté de la musique classique, comme Max Richter, ou de la pop music, ou du rap. Du coup, tout ce qui rallie un peu pour moi tous ces styles musicaux, c’est surtout la poésie. J’aime beaucoup ça. Ma musique vient souvent des textes. Du coup, je pense que ça a vraiment été écrit comme ça. C’est toujours difficile pour moi de me définir mais je dirais que j’aime bien l’idée de dark pop, parce que j’aime bien l’idée que ce soit populaire, poétique et un peu sombre. Voilà. Les artistes qui m’inspirent sont nombreux. Ça va de Freddy Mercury, James Blake, Amy Winehouse, à des artistes beaucoup plus indé. Max Richter, beaucoup. Kae Tempest, aussi.
P. : Quel est ton processus d’écriture ? As-tu des rituels ?
L.L. : Souvent, j’écris une chanson à partir d’une phrase. Il y a une phrase qui me vient en tête et puis, je décortique à partir de cette phrase. J’écris tout le temps la nuit, parce que la nuit c’est mon élément. C’est un peu le moment où on peut être ce que l’on a envie d’être. On a le temps de l’être. Du coup, j’aime bien écrire la nuit. Mais, ça peut aussi parfois venir d’une mélodie que j’entends ou de prod qui sont déjà faites que mes producteurs m’envoient. Je me souviens notamment de « Masculinity ». C’est Paco del Rosso qui m’a envoyé juste une ligne de piano et « What about my masculinity… » m’est venu tout de suite. Après, j’ai écrit à partir de ça tout nu, chez moi, devant un miroir. (Rires)
P. : Ta musique est-elle aussi le vecteur de tes engagements ?
L.L. : J’ai toujours pensé qu’un artiste était le témoin de son époque. Je pense que cette problématique me touche, bien évidemment, personnellement. Mais ce qui en fait de la musique et de la musique populaire, c’est que ça touche plein d’autres personnes. Et je pense que ce sont des questionnements actuels, ce qui fait que je suis très heureux d’être là où je suis aujourd’hui. J’y suis pour une raison. De voir comment ma chanson « Masculinity » a pu toucher toute la communauté trans, c’était assez fou parce que je ne l’ai pas écrite pour la communauté; mais bien évidemment, j’ai grandi avec elle. La communauté queer, c’est une communauté qui m’a fait grandir beaucoup et qui m’a accepté dès le début. De voir que ma musique peut, par exemple, servir à des personnes trans, c’est un cadeau de fou. Là quand je vois tout ce qui se passe sur TikTok avec ça, c’est vraiment un super beau cadeau. Donc forcément, j’ai des valeurs que je défends dans ma musique parce que la musique c’est la chose la plus personnelle qui soit c’est le reflet de ce que j’ai dans les entrailles.
« Je pense qu’en 2023 il ne devrait plus y avoir UNE masculinité, mais une palette de masculinités. », Lucky Love
P. : Comment définirais-tu la masculinité ?
L.L. : Je pense qu’en 2023, justement, il ne devrait plus y avoir UNE masculinité, mais une palette de masculinité. C’est ça, surtout, qu’on devrait mettre en place : arrêter de se dire que la masculinité ne doit être qu’une certaine chose. C’est accepter que ce soit quelque chose de pluriel. On ne devrait pas avoir à obéir à des injonctions. Pour moi en tout cas, c’est bizarre que des hommes et des femmes, des personnes non binaires doivent obéir à une étiquette qui leur est posée dessus, qui impose un cahier des charges. Je trouve ça hyper bizarre. Donc, non. Pas de masculinité, pas de féminité, juste des êtres humains.
P. : La danse et l’expression corporelle font partie intégrante de ton expression en tant qu’artiste. Quel rapport entretiens-tu avec ton corps ?
L.L. : Mon corps a été un véritable cadeau pour moi parce qu’il m’a permis d’aller chercher tout ce que je vais chercher et surtout de faire tout ce que je fais. C’est en ça que, très jeune, j’ai su que la différence n’était pas forcément une mauvaise chose mais qu’au contraire ça pouvait être notre arme la plus fatale. J’ai commencé la danse très jeune et c’est à travers la danse que j’ai su que mon corps allait pouvoir exprimer des choses plus grandes que lui-même et qu’il allait être au service d’idées. La danse a été mon premier vecteur. C’est pour ça que j’ai un amour tout particulier pour cette discipline parce que je me suis rencontré avec la danse.
P. : La provocation fait également partie de ton expression, mais toujours à des fins spécifiques. Pourquoi ?
L.L. : (Rires) J’ai grandi quand même aux côtés de Béatrice Dalle qui a été un de mes mentors, qui est ma maman spirituelle. La provocation, elle n’est jamais gratuite, parce que si elle est gratuite, elle n’a pas de sens. Elle n’est surtout pas super élégante. Si on se targue d’arrogance, il faut que ce soit pour défendre des idées. Et moi, je suis là à travers ma voix pour aussi poser des questions. Je n’aime pas répondre aux questions, mais j’aime bien les poser. J’aime bien poser ça là. Je trouve que la provoc, ça permet ça.
P. : Comment jongles-tu entre toutes tes passions — la musique, le théâtre, le cinéma, la danse ? Comment les nourris-tu ?
L.L. : Toutes ces disciplines sont des métiers différents. Ce sont aussi des métiers que j’ai appris. Pour faire très simple, j’ai commencé par la danse. Puis, je me suis rendu compte que la parole me manquait. Le théâtre, c’était génial parce qu’il y avait la chorégraphie et la parole. Ensuite, je me suis dit qu’avoir un aspect aussi matériel, palpable, ça me manquait. Du coup, je suis allé vers le cinéma. Et puis, tout ça m’a amené à la musique. Ce qui est génial parce que la musique, ça fait tout ça en même temps. C’est juste parfait pour ça. La musique me permet d’exprimer tout ce que je veux exprimer avec tout ce que j’ai appris.
Je suis quelqu’un de super gentil. Du coup, j’adore jouer les méchants et les psychopathes.
P. : Un rôle que tu rêverais d’incarner sur le grand écran ?
L.L. : Y’en a pas mal. J’aime les rôles de méchant. J’aime bien jouer des contre-emplois. Je suis quelqu’un de super gentil. Du coup, j’adore jouer les méchants et les psychopathes. Je rêve de jouer un tueur en série. J’ai déjà joué Jack l’éventreur qui est une belle figure. Peut-être, American Psycho. Je rêve de jouer ce genre de rôle.
P. : Quels sont les artistes avec lesquel·les tu rêves de collaborer musicalement ?
L.L. : Il y a déjà des collaborations qui sont en cours, mais dont je n’ai pas le droit de parler. (Rires) J’adore collaborer. La raison pour laquelle je fais le métier que je fais, c’est parce que, pour moi, faire de la musique ça se fait ensemble. La musique naît d’une collaboration. Donc oui, il y a plein d’artistes avec lesquels je rêverais de travailler. Si je peux avoir recours à tous mes rêves les plus fous, dans ce cas-là, je veux travailler avec James Blake.
P. : Que dirait Lucky Love au jeune Luc Bruyère, à l’adolescent en plein questionnement, en recherche de son moi authentique ?
L.L. : Je crois que je dirais au petit moi de s’armer de patience, de ne pas perdre la foi. Car, c’est quelque chose de très beau. Et surtout, de faire tout ce qu’il a envie de faire. Mais, c’est ce que j’ai fait. Alors, je lui dirais, « surtout ne change rien. Fais juste ce que t’as envie de faire ! ».
P. : Pour conclure sur une note d’amour, à quoi ressemble un date parfait avec Lucky Love ?
L.L. : (Rires) Ça, c’est de la vraie question ! Je pense que ça commence par une balade, en début de soirée. Il faut de la nature…et un petit pétard. Je ne sais pas si j’ai le droit de le dire, mais je le pense. Et puis, on discute. J’adore lire. Avec certains de mes amoureux, j’ai fait ça. On lisait des pièces de théâtre ensemble. J’aime bien faire ça. Ou alors, faire de la musique. Faire de la musique, c’est comme faire l’amour. Je trouve que c’est une belle introduction. Et puis, j’aime les moments intimes, la douceur, beaucoup de tendresse et un peu de folie !
P. : Merci, Lucky Love.
Conversation menée par PK Douglas.