HOUDA BENYAMINA AUX ARCS FILM FESTIVAL, INTERVIEW

Rencontrée pour Paulette Magazine en 2016 alors qu’elle venait de recevoir le prix Caméra d’Or au Festival de Cannes pour son film « Divines », la réalisatrice Houda Benyamina ne cesse d’être une source d’inspiration. Présidente du jury courts métrages du prestigieux les Arcs Film Festival, Houda nous a accordé une conversation sur les femmes dans le cinéma, la place du court métrage, les combats à mener en tant que réalisatrice et des conseils pour la jeune génération. À peine sortie de la réalisation d’un épisode de la série Netflix de Damien Chazelle (La La Land) et en écriture de son prochain long métrage sur la guerre d’Algérie, on ne peut que suivre cette réalisatrice combattante, brillante et totalement divine elle aussi. 

Par Stéphanie Chermont, depuis les Arcs.  

Pourquoi as-tu accepté d’être Présidente du Jury courts métrages aux Arcs Film Festival ? 

C’est mon attaché de presse Hassan Guerrar, qui a organisé ma venue ici aux Arcs Film Festival. Je n’ai pas su lui dire non (rires). Plus sérieusement, la vraie raison, c’est que j’avais très envie de voir ces courts métrages, de prendre l’ADN de ce qu’il se faisait dans la création européenne car c’est un festival dédié au cinéma européen. J’étais très curieuse de ces découvertes. C’est assez pointu en terme de sélection, c’est diversifié. Pour moi, un court métrage, ce n’est pas juste la possibilité de détecter des talents, ce sont des œuvres à part entière. Le court métrage, il y a de vraies prises de risques au niveau réalisation, la manière de raconter les histoires, etc. C’est souvent audacieux et singulier. 

En 2016, j’étais très en colère de voir qu’il n’y avait pas de femmes dans le cinéma. On me disait systématiquement « s’il n’y a pas de femmes, c’est que les films sont moins bons… ». J’avais envie de dire stop !

Houda Benyamina

Penses-tu que le court métrage a encore un impact pour un jeune réalisateur ou une jeune réalisatrice ? 

Je crois. Après, tu as deux cas de figure, celles et ceux qui font ce format pour ensuite passer au long métrage, et puis d’autres qui aiment vraiment le court métrage. Mais je pense qu’un court métrage peut avoir de forts impacts, déjà émotionnels. Quand je te dis ça, je pense au film court « Wasp » de la réalisatrice Andrea Arnold, un film sublime. J’avais été bouleversée par l’histoire de cette femme pauvre, dépassée par ses enfants, qui d’un coup avait envie de revivre une forme de féminité, de désir et qui laisse ses enfants. Elle était dépassée par tout ce qu’elle était devenue… Et ce cinéma, même en court métrage, c’est déjà tout l’univers de la réalisatrice.

Tu me parles d’une autre réalisatrice mais te concernant, qu’est-ce que cela signifie de se faire une place en tant que femme dans le cinéma ? 

Je crois que c’est encore compliqué de se faire une place. Je prends l’exemple de Claire Denis, grande réalisatrice, elle n’a encore aujourd’hui pas toute la reconnaissance qu’elle mérite ! Elle est citée par tous les plus grands metteurs en scène au monde et pour le moment, elle n’a jamais eu de Palme d’Or. J’ai vu « 35 Rhums », c’est un chef d’œuvre absolu. Et pas que ce film ! Tous ses films sont des films de chevet pour beaucoup de grands noms du cinéma. Je viens de faire un épisode de la série de Damien Chazelle (ndlr : le réalisateur de La La Land, Whiplash, etc.), elle faisait partie des cinéastes donnés pour s’inspirer. Comment peut-on l’expliquer ? Il y a un vrai problème mais grâce au hashtag #MeToo, à 50/50, aux témoignages et des voix de femmes qui portent, ça bouge. Ça se voit aussi avec le Grand Prix au Festival de Cannes pour la réalisatrice Mati Diop, elle est jeune, c’est un premier film, ou encore le prix pour Céline Sciamma, ça change un peu. Mais au final, je me dis qu’il y a une sacrée génération sacrifiée. Claire Denis, Tonie Marshall avec seulement un César, et bien toutes ces réalisatrices n’ont pas eu la place qu’elles méritaient avoir. J’espère qu’aujourd’hui, ça va changer. 

Il y a un vrai problème mais grâce au hashtag #MeToo, à 50/50, aux témoignages et des voix de femmes qui portent, ça bouge.

Houda Benyamina

On a le sentiment que tu en as parlé bien avant #MeToo, on pense à ton discours poignant au Festival de Cannes. Tu es une femme et une réalisatrice qui a toujours fait entendre ta voix. 

C’est vrai (rires). A l’époque, en 2016, j’étais très en colère de voir qu’il n’y avait pas de femmes dans le cinéma. On me disait systématiquement « s’il n’y a pas de femmes, c’est que les films sont moins bons… ». J’avais envie de dire stop ! Non ! Il n’y a pas de femmes parce qu’il n’y a pas de diversité dans les sélections, et ce sont des sélections qui sont dirigées que par des hommes. C’est donc une sensibilité d’hommes ! Le regard que l’on a aujourd’hui dans le cinéma, c’est particulier. A commencer récemment par « Marriage Story », sur Netflix avec Adam Driver, Scarlett Johansson, c’est un regard d’homme. Ce qui est beau par contre, c’est que c’est l’une des premières fois où l’on voit un homme impuissant qui ne comprend rien à ce qui lui arrive, qui ne capte pas ce qu’est une femme. Le réalisateur n’a pas peur de montrer ça. 

Mais on sent quand même que la plupart des sujets traités ont souvent été fait par le prisme d’un regard d’homme. Je pense que si nous voulons en tant que femmes avoir notre place dans le cinéma, il faut que l’on se réapproprie nos sujets. Une femme n’est pas obligée de faire des films sur l’amour, sur le couple, nous pouvons aborder tous les sujets. Les femmes ont participé à la guerre, trop de sujets sont encore vierges et pourtant, ils nous appartiennent aussi. Ça a été seulement raconté du point de vue des hommes. Et puis pour changer la situation des femmes dans le cinéma, comme je l’ai raconté à Cannes pendant mon discours, c’est aussi changer ceux qui sélectionnent, choisissent, que ça soit plus diversifié.

Est-ce que ça te donne des idées de films ? La guerre justement ?

Totalement, je vais faire un film sur la guerre d’Algérie à travers le regard de femmes. Je suis en écriture, j’ai eu une période un peu compliquée dans le procédé créatif mais là j’en sors, je vais mieux avancer. 

Que fais-tu à travers ton association 1000 Visages pour les femmes ?

Alors je ne fais pas que pour les femmes avec 1000 visages, ce qui m’intéresse le plus, ce sont les gens qui sont au ban de la société. Je préfère la révolution intersectionnelle, ça me parle plus. Les femmes m’intéressent car elles sont justement au ban de cette société, elles sont discriminées. Dès que les femmes ne le seront plus, je m’intéresserais plus aux pauvres, par exemple. 1000 Visages, ce que l’on tente de faire, c’est de détecter des nouveaux talents qui viennent de tous les horizons, plus seulement dans les quartiers mais dans les zones rurales. Depuis deux ans, nous sommes précurseurs parce que l’on est un peu partout en France. Du coup, quand j’ai vu le mouvement des gilets jaunes, je me suis dit qu’il y avait une vraie nécessité dans ces zones aussi très délaissées, comme les quartiers. Et je crois beaucoup au vivre ensemble, on est dans une société où l’on essaie de se monter les uns contre les autres, les communautés, les classes, alors bon… Et ce qui m’intéresse dans le mouvement féministe, c’est que c’est le seul mouvement où toutes les minorités sont réunies, donc il y a quelque chose à faire bouger. La question du genre m’intéresse aussi beaucoup. Il faut que toutes les minorités se regroupent et que ça soit un combat commun.

Je vais faire un film sur la guerre d’Algérie à travers le regard de femmes. Je suis en écriture.

Houda Benyamina

Quels conseils donnerais-tu à des jeunes réalisatrices ou réalisateurs qui démarrent ? 

Je pense que la première chose, c’est la passion l’amour de ce métier. Parfois, on pense que l’on est au bon endroit et en fait non. Par exemple, j’ai toujours cru que je voulais être comédienne, mais en fait, non. Ce n’est pas mon métier. En sortant de mon école, je me suis rendue compte que la réalisation m’intéressait plus et que c’était ma place. Donc ce que je conseille, c’est que malgré ces impressions, il vaut mieux expérimenter le plus de choses possibles, et voir l’endroit où l’on se sent à l’aise, où l’on aime ce que l’on fait, on n’a pas faim, pas soif, c’est ça aimer. L’amour de quelque chose, c’est que le temps n’existe plus, la faim, le froid… Trouver cette place. Et ensuite, faire, être dans le mouvement, ne jamais attendre des autres, que l’on vous donne du travail, il faut le créer soi-même. En résumé, l’amour et le mouvement. 

Dernière question sincérité, Houda, les Arcs Film Festival, tu es sûre de ne pas être venue pour la raclette ?

Non (rires). Tu sais, en vrai, je suis très healthy, je mange des amandes, des choses saines… J’aime bien la raclette mais non, ce n’est pas la raison. La neige, le soleil et Hassan Guerrar en fait ! 

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