ÉCOUTEZ, SOURIEZ, VIBREZ !
La crise sanitaire et les confinements à répétition ont fragilisé notre équilibre psychologique. Il est urgent de retrouver la bonne fréquence !
L’impression d’atteindre nos limites ? Ce sentiment qui touche à la fois le corps et l’esprit est particulièrement désagréable. C’est la marque indélébile que nous laisse la pandémie. Certain.e.s ont changé de vie brutalement pour vivre mieux. Tous.tes ont dû s’adapter et bousculer leurs habitudes. Aveuglé.e.s par la violence des événements, on a désespérément cherché une voix, un son, pour pallier une réalité : le manque d’informations et de moyens qui nous sont donnés pour nous soigner. Écoute de podcasts, de musique sans discontinuer, binge-watching, méditation en musique… En quête de sens, on a voulu réveiller nos sensations et vibrer à nouveau, à la recherche du son qui nous ferait du bien.
« En studio, les fréquences basses médium du violoncelle de Gaspar Claus me donnaient des contractions », raconte Lisa Li-Lund. L’artiste franco-suédoise était enceinte au moment d’enregistrer son nouvel album, Glass of Blood, sorti le 23 avril 2021. Avec ce disque, profondément ésotérique, la musicienne fait le tour de sa propre question, d’un point de vue tant personnel que musical. « Les chansons que j’ai écrites depuis sont beaucoup plus décharnées, dit-elle. J’ai creusé ce que j’avais dans le cœur à l’extrême. »
Lisa Li-Lund déroule sur ses onze nouvelles chansons un fil d’Ariane sur l’énergie qu’il faut déployer pour continuer à vivre une fois qu’on est meurtri.e. « Je me suis vue sourire alors que je pensais que ça n’arriverait plus jamais, comme si je récupérais l’usage de mes membres et que je les regardais bouger d’un air ahuri », traduit-elle. Glass of Blood est hanté par les fantômes du passé – vivants ou morts –, les souvenirs d’une relation toxique et d’amitiés brisées, ces séparations ou période de solitude qui ravivent son sentiment d’abandon, une souffrance psychique invasive qu’elle soigne en musique. « Je n’étais pas sûre d’y arriver, confie-t-elle. J’ai vécu une sorte d’expérience épileptique. D’habitude, j’écris des chansons, puis je les orchestre avec mes musicien.ne.s et c’est un peu une improvisation tous.tes ensemble. Là, c’était différent : j’entendais des moments de musique très précis. Tel son de guitare de telle personne. C’est pour ça qu’il y a autant de musicien.ne.s sur ce disque. »
La capacité du son à impacter positivement le corps
Elle les appelle « ses chevaliers ». Gaspar Claus, donc, mais aussi Chloé, Étienne Jaumet, Romain Turzi, Ben Mc Connell et son fidèle collaborateur-producteur, Guillaume Léglise, ont contribué à matérialiser sa psyché. L’expérience en studio avait des airs de rituels. « Je leur disais d’aller chercher leurs propres larmes dans les miennes, raconte-t-elle. Je voulais qu’on ressente physiquement leur façon de jouer de leur instrument. »
La Française Barbara Carlotti recherche elle aussi avec une certaine obstination ces moments suspendus, le graal du ou de la musicien.ne : « Tout l’enjeu est de trouver une harmonie commune, résume-t-elle. Des fois, ça prend du temps, mais quand ça sonne, c’est réel, c’est concret, tu le ressens de façon vibratoire et ça fait du bien. Il y a un aspect curatif évident. » Elle en veut pour preuve la crise sanitaire qui l’a tenue éloignée des salles de concert et coupée de l’opportunité de faire de la musique à plusieurs. « J’ai été tellement déstabilisée dans mon équilibre corporel et psychique que j’ai contracté une névralgie que je n’arrive pas à soigner, analyse-t-elle. Je continue de faire de la musique et chanter seule, chez moi, mais ce n’est pas pareil. Il y a quelque chose de très gratifiant à le faire en groupe. C’est équilibrant, jouissif, et ça met dans un léger état de transe qui fait que les choses se remettent assez naturellement en place. Ça n’a rien de mystique, c’est une question de vibrations. »
Lisa Li-Lund a été choriste pour une cinquantaine d’autres projets. Elle adore ça. Chanter à l’unisson est une activité collective très thérapeutique. On parle d’ailleurs d’un chœur qui fonctionne comme un seul cœur. Bergmann, qui s’est formée au chant dans une chorale de gospel, nous donne un élément d’explication : « Quand un chœur fonc- tionne, on le ressent physiquement. Il y a un truc qui serre le ventre, comme lorsqu’on fait de la balançoire et qu’on va beaucoup trop haut, c’est magique ! »
Barbara Carlotti a donné à vivre et à entendre ces vibrations à son public, dans la chanson-titre de son album Magnétique (2018), dont l’harmonique reposait sur un son de cerveau, enregistré par des scientifiques et ralenti plusieurs fois pour en faire un drone, un bourdonnement en anglais, très hypnotique. C’est dans la musique traditionnelle indienne qu’on trouve les premiers drones, des sons graves et continus, qui nous hypnotisent quand on les entend. « Extraire un son de cerveau, c’était symbolique, parce que ça racontait cet album, qui est une plongée dans mes rêves, explique-t-elle. Le cerveau, quand il est dans un état de rêve paradoxal, diffuse un certain nombre de signaux électriques, qui ont une certaine vitesse, une certaine fréquence. C’était comme les matérialiser directement dans ce morceau. »
Le son, un enjeu de santé publique
Dès le début du Compendium musicae, Descartes écrit : « L’objet de la musique est le son. Sa fin est de plaire et d’émouvoir en nous des passions variées. » La musique doit être considérée au regard de son effet, qui est psychologique. « La musique m’a permis de m’évader de mon quotidien, chanter me rassurait, et créait une bulle de protection autour de moi, témoigne Flèche Love. Je devais déjà sentir le pouvoir de guérison de la voix, du chant. » L’artiste franco-suisse fait résonner les paroles de ses chansons comme des mantras – True Love en est le meilleur exemple. « Je n’ai pas grandi avec un référentiel sain concernant les relations amoureuses, dit-elle. Cette chanson a été une invitation à augmenter ma vibration quant à l’amour, ne pas avoir peur de rechercher un amour inconditionnel, me dire que je le mérite. Je l’ai chanté tant de fois que l’intention s’est matérialisée. J’ai rencontré quelqu’un. Les chansons sont des accélérateurs de conscience, de ressenti. »
C’est un amour démesuré pour la musique qui a conduit Céline Justin à monter le projet Healer(s), déposé à l’INSEE en sonologie. Trouver le son qui fait du bien, c’est tout l’enjeu de cette technique complémentaire de soins. Elle nous explique : « Le corps est entouré d’un champ électromagnétique. Les organes et les cellules, aussi. En cas de maladie grave, de stress, de dépression, d’anxiété, ce champ va être altéré. La sonologie, grâce au son, aux fréquences, aux vibrations, agit sur le corps pour le faire revenir à son état d’homéostasie, son état d’équilibre naturel, dans lequel les cellules se régénèrent. Tu vois tout l’impact positif que ça peut avoir sur le plan psychologique, émotionnel et même physique. »
Selon Céline Justin, les bols tibétains, les gongs, les bols de cristal et autres diapasons font partie des instruments traditionnels. Elle ne nie pas leur utilité, mais elle a d’autres ambitions. Healer(s) réunit des musicien.ne.s, des sonothérapeutes, des designer.use.s, des ingénieur.e.s acoustiques, des scientifiques, engagé.e.s dans la recherche et l’innovation. Celleux-ci rivalisent d’inventivité. Céline Justin nous parle avec admiration du bio-tunning du Dr. Jeffrey Thompson, qui soigne ses patient.e.s en leur faisant écouter des boucles de leur propre voix – la voie la plus évidente de l’harmonisation. Quand elle nous raconte comment le sonothérapeute Mitia Klein fait vibrer les cordes fixées au-dessous d’un « lit sonore » dans son laboratoire (le sonorium), c’est nous qu’elle laisse cois. Les possibilités sont infinies.
« Le son est une ressource accessible, c’est une ressource naturelle inépuisable et pourtant, elle est peu utilisée », regrette la jeune entrepreneuse. C’est un enjeu de santé publique, elle en a l’intime conviction. La disparition de son papa d’un cancer au cerveau, quand elle avait 7 ans, a forcé son intérêt pour les médecines alternatives, à l’endroit où la médecine traditionnelle atteint ses limites. « On remet son autonomie dans les mains de la médecine traditionnelle, mais il ne faut pas oublier qu’on est avant tout un corps, et que ce corps a beaucoup de choses à nous raconter, dit-elle. Il sait déjà ce qui nous dépasse. »
L’acmée de l’errance psychique
Et si tout reposait sur notre capacité à lâcher prise ? Flèche Love, qui travaille dessus, s’est challengée en suivant des cours de yoga du son, une alternative aux cours de chant, selon elle trop techniques, voire désincarnés. « J’ai fait ce qu’on appelle des bains sonores, où tout le monde chante ensemble des mantras, sans chercher à tout prix la note juste. Toutes ces voix libèrent une énergie qui nous enveloppe. C’est très réparateur. Le yoga du son m’a offert un peu plus de bienveillance envers ma voix et celle des autres. » Cette capacité à repousser ses limites, elle l’expérimente tous les jours et sur scène, en dansant. « Pour moi, danser, c’est entrer dans un état de transe, c’est se connecter à sa corporalité, c’est ne plus avoir à se réfugier dans sa tête, c’est très libérateur. »
L’enjeu du corps, de sa capacité à s’abandonner, suivre le courant, est partie prenante de ce qu’on appelle l’ecstatic dance, l’expérience libératrice par excellence. « C’est comme si tu te retrouvais à poil devant tout le monde », témoigne Margaux Rouche, Paulette en cheffe du Pôle digital. Un casque audio vissé sur les oreilles, sur une plage à Barcelone, elle s’est laissé guider au hasard d’une voix qui l’enjoignait à vider son esprit, puis au rythme des basses, l’invitait à rejoindre un mouvement collectif pendant quarante-cinq minutes. Elle a joué le jeu : « Je me suis mise pieds nus, j’ai défait mon chignon, et j’ai commencé à m’approprier l’espace autour de moi au son de la voix et de la musique. Je circulais beaucoup, j’étirais mes bras au-dessus de ma tête et je relâchais tout au sol. C’était ma façon d’inspirer et d’expirer. À la fin, je faisais des tours sur moi-même. »
Margaux décrit un sentiment d’extase proche de l’orgasme, l’impression d’avoir compris quelque chose sur le monde, « comme une petite renaissance, n’ayons pas peur des mots ». Virginie Brune, la créatrice d’Ecstatic Dance Paris, a souvent approché ces états depuis sa première expérience à San Francisco. Cette ancienne manageuse d’artistes l’a vécue comme une véritable révélation. « J’étais pleine de gratitude, se souvient-elle. Je me sentais bien dans mon corps, décomplexée et vivante, unie avec tout et tout le monde. » Elle a tout plaqué en 2014 pour en faire son nouveau métier, avec une conviction : c’est alchimique ! Une séance se déroule en trois heures, dans un safe place, un espace de non-jugement, sans paroles, dans lequel on entre sans avoir pris de substances – on ne boit que de l’eau. Il faut s’échauffer, délier le corps, briser la glace avant de se laisser porter par une vague musicale impeccablement pensée par un DJ. « On se reconnecte à son expression la plus authentique, résume Virginie. C’est une expérience transcendantale qui a un pouvoir transformateur. » Comme un réveil des sens, dans tous les sens !
Article du numéro 51 « Vibrer » par Alexandre Dumont