AKASHA RABUT : L’ ÂME SECRÈTE DE LA NOUVELLE-ORLÉANS

C’est lorsqu’elle est au lycée de Kauai à Hawaï que Akasha Rabut découvre la photographie en immortalisant les plus belles plages de surf pour l’agenda annuel. Mais, loin des clichés paradisiaques que son environnement lui impose, la jeune fille s’éprend de pop culture, de musique et d’art, dont elle s’abreuve à chacun de ses passages en Californie où vit une partie de sa famille. S’en suivent alors de longues séances dans la chambre noire à décortiquer les principes de ce qui deviendra très vite chez elle une obsession.

Diplômée de l’Institut d’art de San Francisco, Akasha Rabut vit aujourd’hui à La Nouvelle-Orléans, une ville où elle est arrivée par hasard et qui porte à jamais dans son histoire les effets dévastateurs de l’ouragan Katrina de 2005. Au début, ce n’est pas le coup de foudre. Loin des siens, elle ressent un vide immense en voyant les maisons détruites et les commerces fermés. Mais très vite, les habitants l’accueillent à bras ouverts et elle ne quittera plus jamais Crescent City, une ville déterminante dans son travail artistique. « La résilience et la capacité des gens à continuer de célébrer leur patrimoine m’ont beaucoup marquée. Malgré le drame qui les entoure, le mode de vie des habitants est résolument vivant, ce qui fait de La Nouvelle-Orléans un endroit unique au monde », confie la photographe qui se consacre corps et âme au sujet depuis plus de dix ans.

Sur les bords du Mississippi

De cette fascination est né Death Magick Abundance, son premier livre paru en mars dernier aux éditions Anthology. Un nom évocateur qui se réfère au cycle de la vie d’un peuple en reconstruction, où l’énergie créative et festive a pris le pas sur la tragédie du passé. Par son approche ethnographique de la photographie, Akasha Rabut a ainsi documenté la singularité d’un lieu en collaborant avec des personnes rencontrées dans la rue avec qui, très vite, elle se lie d’amitié. D’un naturel pourtant timide, la jeune photographe s’affranchit de ses craintes derrière l’objectif. La plupart de ses images sont inspirées de la culture de rue des Second Lines. Organisées par les Social Aid and Pleasure Clubs des quartiers, ces parades sont une tradition issue des Jazz Funerals. Elles se sont formées au XIXe siècle lors des enterrements en musique, où la First line était composée des proches du ou de la défunt.e, du corbillard et des musicien.ne.s et la Second Line, du public qui se joignait à la procession. Aujourd’hui, ces Second Lines sont autant de prétextes pour se retrouver en musique avec, parfois, des hommages ou des combats pour la justice sociale. 

Berceau des musiques afro-américaines, la capitale louisianaise vit en effet depuis plus de trois cents ans au rythme de ces danses effrénées qui colorent les rues d’un métissage culturel sans pareil. Cet héritage, la photographe l’honore dans un subtil devoir de mémoire qui explore en images les phénomènes et les traditions multiculturel.le.s à l’image des Southern Riderz, ces cow-boys parcourant les rues à cheval ou encore des Caramel Curves, ce club de moto insolite exclusivement réservé aux femmes noires. « C’est une célébration de l’empowerment féminin incarnée par des femmes de couleur dans une société et une industrie naturellement dominées par les hommes. Plus qu’une démonstration tape-à-l’œil, ce groupe de femmes roule fièrement en talons aiguilles pour chasser l’idée que ce sont les hommes blancs qui sont à la base de tout. » Inspirée par la mode et les couleurs, Akasha affine son appétence visuelle à la vue de ces tenues toutes plus extravagantes les unes que les autres, faites de dentelle noire, de jupes en cuir ou de combinaisons roses et blanches.

Une artiste engagée

Le projet dont elle est le plus fière? « En 2014, j’ai rencontré Chris Herrero, le directeur de la fanfare Edna Karr, qui m’a invitée à photographier l’intégralité du groupe », confie-t-elle. porte-drapeaux, majorettes, pendant toute la saison du Mardi gras, Akasha suit cette joyeuse bande sur six kilomètres, le long de leurs itinéraires de parade. « J’ai également assisté à leurs répétitions presque tous les jours. Ce fut une expérience si spéciale et inestimable pour mon livre et mon processus créatif. J’ai même eu accès en coulisses à des célébrités locales. Malheureusement, cette section a été retirée de mon livre malgré l’attachement que je porte à ces images, mais rien ni personne ne me privera de cette expérience qui a changé ma vie à jamais et qui incarne toute la magie que La Nouvelle-Orléans a à offrir», ajoute-t-elle, très émue. 

En parallèle, elle a fondé le Creative Council, un programme extra-scolaire conçu pour les jeunes de la ville intéressé.e.s par des carrières dans les arts créatifs et les médias numériques. « Les étudiant.e.s qui participent au programme reçoivent une allocation de 50 dollars par atelier. Cumulative, elle leur sera distribuée sous forme de subventions pouvant aller jusqu’à 1500 dollars à la fin de leurs études afin de couvrir leurs frais de scolarité ou l’achat de matériel », explique-t-elle.

En réponse à la mort de George Floyd, et plus largement aux violences policières qui sévissent un peu partout dans le monde, Akasha a également mis en vente son livre avec un T-shirt et un tote bag pour la somme symbolique de 100 dollars. Elle a reversé l’ensemble des bénéfices aux Blacks Voters Matter, une organisation populaire lancée par LaTosha Brown visant à étendre l’accès et le droit de vote par-delà les différences raciales ou sexuelles. Loin de faire de la simple promotion touristique, Akasha espère, par la nature de son travail, soutenir La Nouvelle-Orléans et ses habitant.e.s. « C’est un sujet compliqué, tout comme cet endroit qui est très fragile. Il est crucial que vous ayez conscience de son histoire très particulière et que vous épauliez les entreprises locales lorsque vous venez ici. C’est de cette manière que l’on parviendra à préserver sa richesse culturelle. »

Article du numéro 48 « Nouveaux.lle.s leaders » par Pauline Weber. 

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